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vendredi 28 février 2014

Ça décoiffe chez les losers magnifiques


Vingt ans déjà que Charles Bukowski, « le vieux dégueulasse » comme il s’était surnommé lui-même, a fait sa malle à l’âge de 74 ans, un exploit pour un alcoolo de sa trempe. On se souvient évidemment de son passage, totalement ivre, sur le plateau d’« Apostrophes » de Bernard Pivot le 23 septembre 1978. « Boire est une forme de suicide où il vous est permis de retourner à la vie et de tout recommencer le lendemain », expliquait-il en 1986 à Jean-François Duval, ajoutant : « J’ai bien dû vivre dix ou quinze mille vies de cette façon-là. »
Charles Bukowski

Mais on aurait tort de réduire Buk’ à sa passion pour la bouteille. C’est d’abord une des grandes musiques de la littérature américaine. Un auteur décoiffant qui écrivait dans une langue endiablée, sa « vulgarité » étant constamment ponctuée de merveilleuses envolées, souvent d’une rare sensibilité. Un paradoxe vivant : lui qui aimait jouer aux anti-intellos primaires utilisait sa connaissance des classiques – il adorait notamment Dostoïevski, Kafka ou Jean Genet – pour étoffer sa peinture comique de l’humanité en proie au sexe.
C’est en 1969 que cet inconnu va être révélé au grand public avec son « Journal d’un vieux dégueulasse », recueil des chroniques écrites durant vingt pour divers magazines, tous plus confidentiels les uns que les autres. Aujourd’hui, « Le Retour du vieux dégueulasse » réunit les textes qui étaient injustement tombés dans l’oubli, des pépites écrites entre 1967 et 1984 où brillent des aphorismes définitifs et jubilatoires, dont celui-ci : « Une putain est une femme qui prend plus qu’elle ne donne. Un homme qui prend plus qu’il ne donne s’appelle un homme d’affaires. »
Hasard de l’édition, c’est également ces jours-ci que paraît une nouvelle traduction, respectant la typographie d’origine et le parler des rues de New York, de « Last Exit to Brooklyn », le chef-d’œuvre d’un autre loser magnifique, Hubert Selby Jr
. Une vision apocalyptique du rêve américain devenu cauchemar. Une galerie de marginaux, petites frappes, putes, junkies, où la solitude, la misère et l’angoisse se conjuguent pour mieux renvoyer au lecteur ce qui n’est peut-être que le reflet de sa propre existence. Un portrait des bas-fonds qui fit scandale à sa parution en 1964, polémique que l’éditeur sut exploiter pour assurer un énorme succès au livre.
Selby (1928-2004) revenait de loin. À 18 ans, atteint par la tuberculose, les médecins lui avaient annoncé qu’il ne lui restait que deux mois à vivre. C’est à l’hôpital qu’il commencera à lire, avant de se mettre à écrire. Il mettra six ans pour venir à bout de « Last Exit ». Dan Fante, un autre romancier US sauvé de la folie par l’écriture, lui a rendu cet hommage : « C’est Selby qui m’a appris à répandre mes tripes et à ouvrir mon cœur sur le papier, et à éviter de devenir une bouche de plus à la recherche d’un cri. » À lire ou à relire d’urgence, donc.
LIRE « Le retour du vieux dégueulasse », Charles Bukowski, éd. Grasset, 352 p., 20,90 €.
« Buk chez les Beats, suivi d’Un soir chez Buk », Jean-François Duval, éd. Michalon, 268 p., 22 €.
« Last exit to Brooklyn », Hubert Selby Jr., nouvelle traduction de Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet, éd. Albin Michel, 404 p., 24,50 €.

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