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samedi 30 novembre 2013

Trois coups de coeurs



La révolution camarade !
« Cela faisait longtemps qu'un livre ne m'avait pas autant absorbé et bouleversé. C'est une description honnête, véridique et lucide de cette illusion que nous avons partagée. » Signé Mario Vargas Llosa. Se méfier des préfaces des copains, surtout quand, comme Roberto Ampuero, on est aujourd’hui ministre de la culture au Chili. Mais pas là.
Ce « Quand nous étions révolutionnaires » est un roman autobiographique d’une incroyable force sur les combattants chiliens anti-Pinochet exilés, les années grises à Cuba où l’auteur débarque en croyant encore à l’idéal communiste. Un étonnant témoignage sur les désillusions d’une génération de révolutionnaires sud-américains, née un 11 septembre 1973 sur les marches du palais de la Modena. Ampuero dépasse l’étape du règlement de comptes avec le Cuba castriste pour se regarder avec humour, mélancolie et honnêteté. On peut donc croire Mario Vargas Llosa.
Laurent Gentilhomme
LIRE « Quand nous étions révolutionnaires », Roberto Ampuero, éd. JC Lattès, 492 p., 22,90 €.



L’horreur à 9 ans
La Shoah n’a pas épargné les enfants. L’envie de témoigner de cette abomination non plus. On connaît bien sûr Anne Frank, mais il y en a eu d’autres. Helga Weissova, une artiste praguoise âgée aujourd’hui de 84 ans, avait 9 ans quand elle a été déportée avec toute sa famille, à Terezin d’abord, puis à Auschwitz et Mauthausen. Son père lui a dit : raconte, dessine ce que tu vois ; un oncle a veillé à cacher ses textes et ses dessins, puis à les récupérés après la guerre.
Helga détaille son quotidien : le demi litre de café lavasse pour unique repas ; les appels dans le froid qui n’en finissent plus; la peur omniprésente de voir partir ses proches. Mais elle décrit aussi la vie qui résiste à l’horreur : les fêtes organisées en secret, sa rencontre amoureuse avec Ota… La simplicité du récit, l’âge de l’auteur émeuvent, forcément, et mettent en lumière les atrocités de la machine d’extermination nazie.
Annick Woehl
LIRE « Le Journal d’Helga », Helga Weissova, éd. Belfond,  264 p., 22 €.


L’homo sovieticus
« À la fin des années 90, cela faisait rire les étudiants, quand j’évoquais l’Union soviétique ; ils étaient sûrs qu’un avenir nouveau s’ouvrait à eux. Les étudiants d’aujourd’hui ont déjà appris ce qu’est le capitalisme, ils l’ont ressenti en profondeur : inégalités, pauvreté, richesse arrogante », rapporte ce professeur d’université à l’auteur. Qui s’est demandé pendant 30 ans : qu’est-ce que l’« homo sovieticus » ? Plus en femme de lettres qu’en historienne, Svetlana Alexievitch a tendu son micro à des dizaines de ses concitoyens de l’ex-URSS qui  racontent leur stalinisme, leur athéisme, leur vie vouée à la patrie et/ou passée dans les camps, leurs discussions intimes dans les cuisines, leurs rêves échoués… Reflets à géométrie très variable d’une même vie âpre dont les repères ont été pulvérisés par l’histoire, ces tranches de vie sont poignantes, nécessaires. Prix Médicis 2013 de l’essai.
Anne Vouaux
LIRE « La fin de l’homme rouge », Svetlana Alexievitch, éd. Actes sud, 542 p., 24,80 €.

Ils rêvaient de toucher les étoiles



Harold, employé au rayon charcuterie d’un supermarché londonien, harcelé par Carol, sa collègue du rayon fromages (voir l’extrait ci-dessous), serait parfaitement transparent aux yeux des autres s’il n’avait un passe-temps parfaitement singulier : faire une ou deux fois par semaine semblant de se suicider, le plus souvent par pendaison dans le hall d’entrée de son immeuble. Glups.
Bref, on n’a pas encore fini de lire les trois premières pages de « Harold », un premier roman allemand signé d’un pseudonyme, Einzlkind (on sait seulement que l’auteur a une quarantaine d’années et aurait suivi des études de philosophie) qu’on est pris, attrapé, fasciné par ce mélange d’absurde et d’ironie, de tendresse et de mélancolie, un cocktail étrange, déroutant, impossible à lâcher. Quant à Harold, c’est son emploi qui va le lâcher. Au chômage, l’une de ses voisines lui met entre les pattes pour une semaine Melvin, son fils de onze ans, mi-autiste, mi-génie, du piment dans l’existence sans sel du vieux célibataire.
Melvin, c’est le genre de gosse qui vous traîne aux courses hippiques, vous explique qu’il a une méthode infaillible pour gagner (et vous perdez tout votre argent), qui vous amène dans un pub et provoque deux grosses brutes (et vous partez en courant pour éviter la dérouillée). De quoi vivre l’enfer, de se débarrasser de ce poison au plus vite, mais le hic, c’est que Harold est incapable de refuser quoi que ce soit à qui que ce soit.
Dana Spiotta
Alors, quand Melvin propose d’emprunter la voiture de sa mère pour tenter de retrouver son géniteur qu’il ne connaît pas, Harold prend le volant pour un road-movie aussi savoureux qu’haletant (et fichtrement émouvant sur la fin) sur les routes d’Angleterre et d’Irlande. Si ça se trouve, ces deux-là, couple improbable, iront un jour en Autriche. Pourquoi ? Vous le saurez en lisant ce merveilleux roman jusqu’au bout.
On retrouve d’autres êtres malmenés par l’existence dans le « Stone Arabia » de Dana Spiotta. L’histoire d’un frère, Nik, et de sa sœur Denise, inséparables depuis l’enfance, et encore réunis dans la déchéance du premier. Nik, musicien de talent mais maudit, qui, depuis trente ans, se bâtit une autobiographie virtuelle, ce qu’il appelle ses « Chroniques », dans lesquelles il reconstruit, jour après jour, l’existence de rock star à laquelle il n’a jamais eu droit. Quand son chien meurt dans la vraie vie, son chien meurt également dans les Chroniques, sauf que, dans ces dernières, le chien a droit à de fabuleuses funérailles, les fans envoyant à la star des milliers de cartes de condoléances…
Denise, c’est un peu ce qu’il reste de stable dans la vie en miettes de Nik. Mais comment fait-elle, cette femme courage avec, en plus de Nik qui sombre dans la folie, une mère gagnée par la maladie d’Alzheimer ? En fait, elle n’est pas loin de craquer, entre déceptions et peurs.
Un roman délicatement composé, un peu à la manière d’une Joan Didion ou d’un Don DeLillo, terriblement triste, le constat amer sur les désillusions d’une génération, sur une Amérique rentrée dans le rang, et, plus généralement, sur les combats perdus de ceux qui rêvaient d’atteindre les étoiles.
LIRE « Harold », Einzlkind, éd. Actes sud, 240 p., 20 €.
« Stone Arabia », Dana Spiotta, éd. Actes sud, 288 p., 22,50 €.

vendredi 29 novembre 2013

Le géant vide et les graines de courge



Une naissance, des chemins possibles, des hasards, des rencontres, des choix, des erreurs, une légende. Une vie. Philippe Jaenada, avec son talent inimitable pour mêler le rire aux larmes, l’accessoire à l’essentiel, cette signature unique dans le paysage littéraire français, ose un pas de côté après nous avoir tant régalé des rebondissements tragi-comiques de sa propre existence. Il ose affronter la trajectoire de Bruno Sulak. « Bruno Sulak, le légionnaire modèle, le magicien, le gangster en tenue de tennis, l’homme qui a volé la panthère, Bruno Sulak l’éternel évadé ». Bruno Sulak né à Sidi-bel-Abbès en 1955, mort en 1985, tombé d’une fenêtre de Fleury-Mérogis lors d’une tentative d’évasion (a-t-il été poussé dans le vide ?). Il n’avait pas trente ans. Entre les deux, le parcours d’une comète, d’une étoile filante, d’un feu follet… au royaume des braqueurs. Dans la catégorie rare, et reine, des gentlemen cambrioleurs.
Philippe Jaenada
Une vie guidée par une phrase du grand-père, venu de Pologne en France en 1900, qui disait : « Regarde devant, ce qu’il te reste à faire, ne regarde jamais derrière. » Une vie portée par le charisme hérité de Stanislas, son père : dès l’adolescence, Bruno « impose le respect par nature, on l’écoute parce qu’il parle, on l’estime parce qu’il a l’air de savoir de quoi il parle, et on le suit parce qu’on l’estime. » Bref, pour faire entendre le genre de formule dont Philippe Jaenada  a le secret : « Dans le petit chaos des trottoirs, il est rassurant d’emboîter le pas [à Bruno]. »
De fait, dès ses quinze ans, Bruno Sulak est entouré d’une petite bande. Il sera toujours (ou presque) entouré. Il endossera le rôle de meneur, ne dénoncera jamais ses complices même quand il aurait pu partager. Après ses potes de Marseille (et un stupide vol de mobylette qui aura une malheureuse conséquence), sa meute suivante sera la Légion. Il désertera, et ce sera le début de la cavale, les premiers braquages, des supermarchés, plus tard des bijouteries. Là aussi accompagné de ses fidèles, son complices serbes Drago et Steve – le garde du corps de Jean-Paul Belmondo - ou la belle Thalie, jeune fille de bonne famille en rupture de ban. La signature de ses hold-up ? Une Simca 1000 (voir l’extrait ci-dessous). Son plus incroyable fait d’armes ? Cambrioler un joaillier parisien dans un quartier truffé de policiers lors d’une visite officielle d’Helmut Kohl. Et davantage qu’une coquetterie : un revolver uniquement chargé de balles à blanc.
Alors, Sulak, voyou sympathique ? Ce Sulak pétri de talents : hockeyeur, marathonien, prestidigitateur, pilote d’hélicoptère, etc. Ce Sulak lisant les plus grands auteurs dans sa cellule. Ce Sulak, incarnation de la folie, de « l’innocence » des années 70 et 80, dont « Sulak », le livre, est en creux un formidable portrait. Philippe Jaenada ne verserait-t-il pas dans l’apologie d’un hors-la-loi ? Indéniablement. Il y a là une infinie tendresse de l’ours (Jaenada) pour le fauve (Sulak). Comme une infinie tristesse aussi, face au destin de celui qui n’aura finalement jamais trouvé sa place : « Comme un géant vide à qui on ne proposerait que des graines de courge. »
LIRE « Sulak », Philippe Jaenada, éditions Julliard, 494 p., 22 €.

vendredi 15 novembre 2013

Le choix de Sabine Hartmann



En 1916, le grand feu de Matheson, Ontario, a ravagé cette ville, faisant 243 morts. C’est cette histoire étonnante et oubliée que veut raconter une photographe du Herald Tribune à travers les photos d’hier et d’aujourd’hui. En menant son travail d’enquête, elle rencontre une communauté d’ermites au fond d’un bois au Québec et partage un temps leur quotidien. Tom et Charlie lui ouvrent la porte de leurs cabanes, chacun ayant une bonne raison de se faire oublier de la société depuis des décennies. Avant, ils étaient trois, mais Ted est mort et personne n’est entré dans sa cabane depuis lors. Parfois Steve et Bruno, des marginaux, leur rendent visite. Un jour, l’apparition de Marie-Desneige va bouleverser la vie de la communauté… Marie-Desneige, la « folle », qui sait traduire les images. Qui va permettre de comprendre la tragédie du grand feu. Un conte des temps modernes, raconté avec émotion et douceur.
LIRE « Il pleuvait des oiseaux », Jocelyne Saucier, éd. Denoël, 203 p., 16 €.