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vendredi 28 mars 2014

Donner la parole aux oubliés, aux incompris


L’idée de « Raconter la vie » est de faire parler monsieur et madame tout le monde de leurs existences, de leurs expériences, de leurs vies au travail. Une sorte d'encyclopédie, par fascicules, du quotidien au XXIème siècle. Le projet d’ensemble, porté par Pierre Rosanvallon et présenté dans le livret inaugural intitulé « Le Parlement des invisibles », « veut contribuer à sortir le pays de l’état inquiétant dans lequel il se trouve. » Il veut donner la parole à ceux qui, en France aujourd’hui, se sentent « oubliés, incompris, pas écoutés. » Une situation « qui mine la démocratie et décourage les individus. » Il est donc temps « de redonner consistance au mot « peuple », en l’appréhendant dans sa vitalité. »
Quatre fascicules-témoignages (80 p., 5,90 € le volume) ouvrent la collection. « Moi, Anthony, ouvrier d'aujourd'hui » qui raconte, depuis l'aversion pour le système de l'éducation nationale au mythe du CDI, à quel point ne pas rentrer dans une case est difficile comme l'est la vie d'ouvrier, constamment sous pression et sous observation. Dans « Chercheur au quotidien », Sébastien Balibar nous décrit son laboratoire et les vicissitudes de la recherche, des financements, des collaborations et la concurrence entre labos. Dans « La femme au chats », Guillaume le Blanc retrace l’histoire de Karine, une fonctionnaire des impôts qui se réalise avec un élevage d’élevage de chats rares (des sacrés de Birmanie). Enfin, dans « La course ou la ville », Eve Charrin nous fait partager le quotidien de livreur à Paris, ceux qui jonglent entre l’agressivité des autres occupants du bitume, le contrôle par leurs employeurs et la gestion de leur propre stress. Écris de manière sobre, claire, ces récits nous entraînent de manière passionnante au cœur de ces tranches de vie. Des reportages photos… en mots, en quelque sorte. Et le site internet http://raconterlavie.fr permet de rejoindre ce « roman vrai de la société française. »
LIRE « Le Parlement des invisibles », Pierre Rosanvallon, collection « Raconter la vie », éditions du Seuil, 80 p., 5,90 €.

vendredi 21 mars 2014

Le coup de coeur de Nicole Bouisset



Liens du sang et liens du cœur ne vont pas toujours de soi. Les portraits d’un grand-père, hors norme, du fils, adolescent de 40 ans, et de Malo, enfant de ce dernier, tout en finesse, en témoignent ici.
Le temps d’un été, sur décision des parents séparés, englués dans leurs contingences personnelles et professionnelles, le grand-père sera la planche de salut pour garder le petit Malo. Entre la personnalité en devenir du gamin de 6 ans et celle de son « Grand Paria », loup solitaire, râleur et nostalgique d’« autrefois », la magie lentement s’opère. Et c’est dans le puits de l’ancien et du nouveau monde que les deux êtres au bout de la chaîne découvriront leur propre « maillon » pour ne pas se quitter, pas encore. Une écriture d’une grande acuité, teintée d’humour et de tendresse, poignante aussi, sur la portée inattendue de choix et de non-choix sur le cours d’une vie.
LIRE « Le réveil du cœur », François d’Epenoux, éditions Anne Carrière, 254 p., 18 €.

17 ans. À l’âge où ses congénères entrent tant bien que mal dans la « vraie vie », Charlotte rédige, à l’attention du juge, le récit de ses dix dernières années de vie familiale passées dans la cave. Là où son « géniteur » un beau jour l’avait reléguée jusqu’à l’enchaîner après une fugue ayant mal tourné. Victime d’un père brutal et manipulateur sous des dehors solaires, abandonnée par une mère battue, Charlotte par la lecture essaie malgré tout de se construire. En dépit du silence dont elle s’entoure pour échapper aux regards et questions de ses congénères du collège, puis du lycée, une porte, inespérée et secrète, s’ouvrira pour elle. Un récit prenant, écrit à la première personne, sujet à de multiples questionnements sur la construction de soi quand le monde alentour semble figé dans l’impuissance, la lâcheté, l’ignorance, la suspicion et l’indifférence.
LIRE « Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre », Céline Lapertot, éd. Viviane Hamy, 191 p., 17 €.

Sale gosse



À 13 ans, flanqué des inséparables (pour ne pas dire davantage) Ferréol et Josselin, Walter Pergamine se rêve auteur de théâtre. À 14, il s’essaie aux aphorismes. À 16, au roman épistolaire. À 18 ans, il s’aperçoit qu’il n’a jamais cessé, depuis tout petit, de faire des listes… et que ça ne l’a pas mené bien loin. Sous ses airs de « sale gosse snob et prétentieux », notre ado boutonneux et emprunté n’en mène pas large et rêve à ce qui se trouve sous les jupes des filles, et comment y accéder. Il a cru avoir sa chance avec Sacha, trop parfaite sans doute. Samantha, moins bête qu’il n’y paraît, fera le job. « Walter » ressemble à un prequel de « Pfff » le premier roman d’Hélène Sturm, on y trouvait déjà, mais à l’âge adulte, les mêmes personnages, et Walter n’avait pas appris à écrire le mot « imbécile ». C’est toujours aussi virevoltant et grinçant, on se croirait chez les frères Coen. C’est un compliment.
LIRE « Walter », Hélène Sturm, éd. Joëlle Losfeld, 160 p., 15,90 €.

vendredi 14 mars 2014

Le coup de coeur de Martine Marion


Ce livre ressemble à un tableau de Noack, ou Scheni si vous préférez. On y voit une foultitude de personnages tous attachants, déambulant dans une vie de galère. On découvre des scènes touchantes d’émotions, de solidarité. Comme cette amitié qui permet à Xenia et à Blandine de rester debout. La première a été plaquée par son copain et se retrouve seule avec son bébé. Le compagnon de la seconde a disparu, la laissant partager son quotidien avec un ado mal dans ses baskets parce qu’il est noir et que la bande de blancs de la cité voisine ne cesse de le harceler. Il y a l’entreprise de nettoyage, puis le supermarché où l’une et l’autre se battent pour boucler les fins de mois. Et puis il y a Gauvain, ce patron qui fait basculer Xenia dans un univers de ouate, le temps de quelques soupirs. On rit, on pleure, on plonge dans la France d’aujourd’hui avec le sourire et avec gravité.
LIRE « Xenia », Gérard Mordillat, éditions Calmann Lévy, 340 p., 18,90 €.

Le coup de coeur d'Anne Vouaux



Dans la veine de « L’immeuble Yacoubian », Alaa El Aswany signe un roman fourmillant de personnages, brossant admirablement une relation dominants-dominés au Caire entre 1945 et 1948. L’ordre est bien établi : les colons anglais dominent le pays, dirigé par un roi fainéant corrompu, les serviteurs sont serviles et les pauvres courbent l’échine. Ruinée, la noble famille Hamam quitte la Haute-Egypte pour s’installer au Caire. A travers les trajectoires de chacun de ses membres – les parents, deux fils et une fille -, l’auteur passe de l’intimité de la maison au monde de l’éducation, des coulisses de l’Automobile club, palace réservé aux étrangers et à l’aristocratie locale, aux méandres de la révolte socialiste. On plonge au cœur des pouvoirs… mais des fêlures apparaissent, la révolte est en germe et le lecteur pressent à quel point cette société n’est pas loin de craquer.
LIRE « Automobile club d’Egypte », Alaa El Aswany, éd. Actes sud, 541 p., 23,80 €.