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vendredi 29 août 2014

Elle peignait comme pour un amour


Elle s’appelait Charlotte Salomon, gazée en octobre 1943 dès son arrivée à Auschwitz. Elle était enceinte, elle n’avait que vingt-six ans.  Elle ne demandait qu’à peindre, « devant certains tableaux, son cœur bat comme pour un amour. » Elle ne demandait qu’à être heureuse, mais ça, ce n’était pas gagné, sa famille était ravagée par une épidémie de suicides. Autant de morts, dont celui de sa mère, qu’on cachait à Charlotte. Elle sentait bien que quelque chose n’allait pas, cette mélancolie qui habitait sa grand-mère, sa difficulté à elle à s’ouvrir aux autres, elle qui peut « sourire et souffrir en même temps ».
Adolescente, elle fait deux rencontres déterminantes : Paula, sa nouvelle belle-mère, une célèbre cantatrice qui l’aide à oser aller de l’avant. Et, surtout, Alfred Wolfsohn, le professeur de chant de Paula, un oiseau déglingué mais pétri de talent, qui deviendra son mentor, son tourment amoureux, son obsession.
Charlotte voudrait dessiner et aimer, et que rien d’autre ne compte. Mais elle est juive, elle et les siens n’ont bientôt plus le droit de rien dans l’Allemagne nazie. Son père ne peut plus exercer la médecine, Paula ne peut plus se produire, Charlotte remporte le concours – anonyme – de fin d’année aux Beaux-Arts… mais on ne lui décerne pas le prix, impossible, une juive ne peut pas être la meilleure. Le désastre s’accélère : son père est interné pendant quelques mois, il revient détruit. La famille décide d’éloigner Charlotte dans le sud de la France, à Villefranche-sur-Mer, là où les grands-parents sont déjà à l’abri, croit-on. La grand-mère meurt, le grand-père et Charlotte sont internés dans un camp (français !), puis miraculeusement libérés. De retour à Villefranche, Charlotte a peut-être le pressentiment de la fin et se met à peindre en quelques mois des centaines de dessins et de gouaches, une autobiographie unique dans son genre qu’elle intitule « Leben ? Oder Theater ? ». Une œuvre qu’elle aura le temps de confier à un ami, avant qu’elle ne soit raflée en compagnie de son nouveau compagnon par les sbires de l’immonde Aloïs Brunner. Direction Drancy. On connaît la suite…
Depuis des années, David Foenkinos était attiré par l’Allemagne, sans vraiment savoir pourquoi. Jusqu’à tomber par hasard sur l’œuvre de Charlotte Salomon. « Tout était là. Dans un éclat de couleurs vives. » Il n’a cessé d’essayer d’écrire le livre de cette vie. Mais il n’y arrivait pas. « Impossible d’avancer. C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. »
Alors ? « Alors, j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » Un roman en vers libres. Une forme originale, qui peut susciter l’embarras (peut-on traiter de la Shoah en usant d’un exercice de style ?), qui agace à certains moments (quand l’auteur nous raconte son enquête, et quelques anecdotes superflues). Mais qui, au final, emporte l’adhésion par le culot de l’entreprise, la pudeur élégante des mots choisis, par la fascination émue, fiévreuse de l’auteur pour son sujet. Que le lecteur partage. Chaque roman devrait rendre justice à une voix perdue. C’est ici chose faite.
LIRE « Charlotte », David Foenkinos, éd. Gallimard, 224 p., 18,50 €.

Nothomb et Begbeider : bof, bof...



1997. Amélie Nothomb, à la fois auteur et personnage, cherche un compagnon (en l’occurrence un « convignon ») de beuverie, mais au champagne s’il vous plaît. Ce sera Pétronille, une fan, charmante androgyne grande gueule d’une vingtaine d’années, la « convigne » idéale. Ces deux-là s’amusent beaucoup. Nous, on s’ennuie.
2001. Pétronille Fanto publie son premier roman. Il y en aura d’autres. C’est une belle histoire d’amitié entre ces deux jeunes femmes. Au passage, Amélie Nothomb (l’auteur ou le personnage ?) règle ses comptes : avec les « rombières », avec les paparazzis, avec la créatrice de mode Vivienne Westwood. Au-delà de cette pacotille, pas de littérature en vue.
Amélie Nothomb, l’auteur, a peut-être voulu répondre une bonne fois pour toutes aux sempiternelles questions de ses nombreux admirateurs sur sa vie, ses goûts, son travail. Et elle a glissé le tout dans un « roman ». Admettons.
LIRE « Pétronille », Amélie Nothomb, éd. Albin Michel, 172 p., 16,50 €.


« Il en a fallu des coïncidences et des hasards », des milliards de combinaisons qui fondent notre Histoire contemporaine, que Frédéric Beigbeder s’échine à nous raconter à travers le prisme d’une rencontre improbable et d’un amour impossible, celui d’Oona, la fille du célèbre dramaturge Eugène O’Neill, avec J.D. Salinger, le futur auteur du cultissime roman « L’Attrape-cœurs ». Ils se côtoient d’abord au Stork, LE café branché dans le New York de 1940, là où tout commence, là où Truman Capote divertit de jeunes et riches héritières. Jerry Salinger, l’étudiant moins fortuné, un grand timide plutôt maussade, s’amourache d’Oona. À eux deux, ils apportent « tant de profondeur soudaine au centre de la légèreté new-yorkaise ». Ils flirtent, se revoient, ne se quittent plus, pour lui c’est pour la vie, pour elle…
L’entrée en guerre des États-Unis balaie tout. Par défi, par arrogance, par conviction, on ne sait trop, Salinger s’engage. Il sera de toutes les horreurs, le Débarquement sur les côtes normandes, l’offensive de la forêt de Hürtgen – un enfer méconnu -, la libération des camps de la mort. Il ne s’en remettra jamais, reclus chez lui durant des décennies jusqu’à son décès en 2010, auteur en fin de compte d’un seul roman et d’une vingtaine de nouvelles (dont certaines encore inédites). Frédéric Beigbeder invente les lettres que Jerry aurait envoyées à Oona (il n’a pas eu accès aux vraies). Durant les années de guerre, celle-ci a rejoint ses amies en Californie, continuant de mener une vie insouciante, après tout, elle n’a pas encore vingt ans. Elle aimerait devenir comédienne, elle rencontre Charlie Chaplin, alors en pleine gloire grâce notamment à sa peinture féroce d’Hitler dans « Le Dictateur ». Il a toujours aimé les Lolita, mais là, c’est autre chose : il tombe raide dingue d’Oona, il l’aimera toujours, et elle le lui rendra bien. Salinger et Oona ne se reverront jamais, sauf encore dans le roman de Beigebder, était-ce utile, la passion d’un sujet mérite-t-elle une telle accumulation de détails, une « faction » (mélange de faits réels et de fiction) gloutonne qui broie l’émotion qu’on espérait éprouver…
LIRE « Oona & Salinger », Frédéric Beigbeder, éd. Grasset, 336 p., 19 €.





LE coup de coeur de la rentrée littéraire



Joseph est ouvrier agricole dans le Cantal, « au bas du bas de l’échelle », mais ça ne le dérange plus. Il est revenu de l’enfer, tombé dans le trou de la boisson, abusé aussi par Sylvie qui sortait de la « misère » pour se jeter dans ses bras et, en fin de compte, lui faire payer tout ce qu’elle avait subi des autres hommes. Joseph est à présent proche de la retraite, il travaille chez des patrons honnêtes, il est « gentil, pas bavard, […] du paysan solide. » Sa fierté : une étable bien tenue, là où « l’odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle vous remet les idées à l’endroit. » Et quand sa tête ou son ventre se crispe, il se fait des listes, de dates, de lieux, de noms, c’est son point fort, et son pré carré se remet à tourner rond. Marie-Hélène offre une tendre élégie en prose à un monde en voie de disparition, un chant à la gloire de ces gens de bien aux mains calleuses et au cœur pur. Une splendeur.
LIRE « Joseph », Marie-Hélène Lafon, éd. Buchet-Chastel, 142 p., 13 €.

vendredi 22 août 2014

Les coups de coeur de Pierre Maenner



Le mieux et pour aller plus vite, c'est d'en citer un petit bout : « Chaque jour, l'homme va à la rivière et s'assied sur un tabouret métallique dans le courant rapide de la petite cascade. Là, de la poche intérieure de sa veste, il sort un livre et commence à le lire parmi les éclaboussures, l'écume et le rebondissement des lumières. En général, il faut une bonne heure avant que le livre soit trempé et lorsque l'homme ne parvient plus à tourner les pages sans les déchirer, il le jette à l'eau, en gardant un œil très intéressé sur l'éclat que prend alors la rivière, car il n'ignore pas la passion des truites pour la littérature. »
C'est un joli départ. Le reste du recueil est à l'avenant. La pêche jusqu'à la dernière ligne, et la fin dans laquelle l'homme et les poissons repartent du début, ce qui n'est jamais qu'une manière réjouissante de se mordre la queue.
LIRE « Grosses joies », Jean Cagnard, éd. Gaïa, 156 p., 17 €.


La fille de son meilleur ami, un ami qui évidemment a expiré dans ses bras et lui a fait promettre qu'il retrouverait cette fille inconnue et s'en occuperait, n'est pas une blanche orpheline. En prenant connaissance du challenge, on s'attend normalement à un truc dégoulinant de bons sentiments, nobles batailles et preux chevaliers servant à tout. Que dalle. La fille est une habituée des hôpitaux psychiatriques, mère divorcée séparée de son petit garçon, menteuse, buveuse, chapardeuse, enquiquineuse à haute dose. Lui non plus d'ailleurs n'est pas très clair, il traîne de vieilles gamelles derrière lui et continue de nourrir de funestes projets. L'association de ces deux individus qui ont dévié de la route ne peut pas donner grand-chose de constructif et en effet, leur aventure démarrée dans les meilleures intentions s'achemine doucement vers les pires complications.
LIRE «  La fille de mon meilleur ami », Yves Ravey, éd. de Minuit, 157 p., 14 €.