Rechercher dans ce blog

vendredi 31 janvier 2014

Une réédition de Pierre Pelot



Aucun Vosgien n’ignore que dans chaque recoin de ce département vert comme les sapins se cache un rebouteux. Celui que l’on ne nomme jamais, mais que l’on surnomme. Qui fait des miracles, enfin, à ce qui se raconte. Ici, il s’appelle George Mique dit « L’Index ». Cardo traverse le département pour le rencontrer car sa femme est au plus mal. Mais Mique est mort, l’été dernier. Qui pour lui succéder ? Gussa, le fils du guérisseur,  est persuadé que sa sœur - que tout le monde appelle Mique (tiens, bizarre) - a hérité du don. Voilà de quoi remplir les caisses de la famille. Mais celle « qui ne sait pas dire je » n’a que faire de ces allégations. Elle va pourtant suivre Cardo sur une route hypothétique. Le chemin est tourmenté, sinueux, étrange. À l’image de beaucoup des romans de Pierre Pelot. Celui-ci, publié une première fois en 1987, revient aujourd’hui en librairie, toujours aussi actuel.
Martine Marion
LIRE « Elle qui ne sait pas dire je », Pierre Pelot, éd.Héloïse d’Ormesson, 302 p., 19 €.

Devenir un homme, mode d’emploi



« J’ai voulu tout dire, pour qu’il ne reste que les secrets ». Tout dire sur la sexualité, sur sa sexualité, voilà le projet annoncé par Arthur Dreyfus. Tout dire, surtout, sur l’enfance, l’adolescence, ces années fragiles et impérieuses où l’on grandit entre des injonctions, des bêtises, des normes et des questions, tant de questions. Arthur Dreyfus en sort à peine, il a 27 ans, et semble avoir tous les talents : il a été ou est encore mentaliste, comédien, réalisateur, journaliste, chroniqueur à la télé, animateur de radio (« Encore heureux » sur France Inter de 16 h à 17 h du lundi au jeudi, c’est lui) ! Il en est à son troisième roman (après les remarqués « La synthèse du camphre » et « Belle Famille »), sans oublier « Le livre qui rend heureux », un essai sur le bonheur devenu best-seller.
Arthur Dreyfus
Livre « total » donc que cette « Histoire de ma sexualité ». La recherche de l’exhaustivité autour d’un sujet. On songe immédiatement à Georges Perec, celui du « Je me souviens », cet enchaînement de souvenirs  de la 10ème à la 25ème année de l’auteur (de 1946 à 1961), et celui de « La Vie mode d’emploi », roman qui racontait les habitants, les objets, les histoires d’un immeuble parisien entre 1875 et 1975. L’anodin et l’essentiel rassemblés en un catalogue d’allure hétéroclite, parfois futile, voilà ce qu’avait conçu Perec. Voilà ce que reprend Arthur Dreyfus.
Alors, oui, sur 360 pages, il ne se passe rien, pas d’intrigue, pas de personnages auxquels s’identifier, les codes traditionnels du roman sont absents. On passe d’un fragment à l’autre, en une ligne ou en trente, certains numérotés (des souvenirs autobiographiques, semble-t-il), ou des citations de livres ou d’amis (aux pseudonymes charmants : « Travesti », « Bien-Être », « Calembour le Vieux », « Bord cadre », « Fou d’enfance », etc.), des notations philosophiques ou foncièrement mélancoliques. Nous sommes au cœur des années 2000, un peu avant et beaucoup après. À Lyon, puis à Paris. Devenir un homme est toujours aussi difficile, surtout quand, en plus, il faut assumer sa différence, s’avouer, se dire, et dire son homosexualité.
Au détour d’anecdotes grivoises, absurdes, étonnantes ou banales, Arthur Dreyfus pose les questions fondamentales, fussent-elles dérangeantes (« Qui a décidé, un jour, que les enfants seraient tenus à l’écart du plaisir [l’orgasme] qui domine tous les autres ? »), défriche, dans sa quête de vérité, « l’infinité des mensonges possibles », enchante par de très beaux aphorismes (« Malheureusement, le bien-être n’est pas une somme d’extase »). On adore celui-ci : « La photographie, la cuisine, l’écriture, la pêche à la ligne, l’amour : toutes ces disciplines où l’on ferre le hasard. » On s’amusera aussi de la cruauté d’une scène savoureuse autour du mot « orge » dans Le Petit Robert… (c’est page 164).
On se divertit, donc, on est d’abord un peu perplexe (cet ensemble ne serait-il pas « trop » brillant, et donc vain ?), puis on s’attache, on se passionne, fasciné, on est pris, on ne peut plus lâcher ce livre unique.
LIRE « Histoire de ma sexualité », Arthur Dreyfus, éditions Gallimard, 368 p., 21 €.

jeudi 30 janvier 2014

Des nouvelles, coup de coeur de Pierre Maenner



Petit contretemps, tu parles. Le titre a la douceur d'un euphémisme, c'est-à-dire la brutalité d'une tromperie... Ne surtout pas s'y fier. Sous cet emballage charmant, ce ne sont que récits de guerres. La dureté des accidents ordinaires qui surviennent durement quand on ne les attend pas. Contrariants pour le moins, consternants pour le mieux. Un mari qui vous quitte, c'est la moindre des choses, il y en a qu'on revoit clochards sur un trottoir. Des enfants que l'on perd, et ce n'est pas le pire, certains n'ont fait que s'égarer au sortir de l'école. Des gens qui partent du cancer, ou d'un machin moins convenu, il faut bien regarder la vie en face des trous. En gros, ces petits contretemps sont la plupart du temps des drames et des tragédies. Mais racontés comme s'il convenait de s'en contreficher. L'effet a contrario est d'autant plus dérangeant. Il n'y a pas de contretemps sans fausses pistes.
LIRE « Les petits contretemps », Gaëlle Heaulme, éd. Buchet-Chastel, 144 p., 14 €.


mercredi 29 janvier 2014

Le coup de coeur d'Ursula Laurent



C’est l’angoisse dès les premières lignes. Un enfant meurt lors d’une séance d’exorcisme. Un journaliste toujours présent sur les lieux de drames avec sa caméra. Et l’étonnante policière Eva Svärta en proie à des sombres pressentiments. Le danger rôde, il suinte à travers le roman. Les héros, les deux policiers Eva et Alexandre, n’ont jamais été aussi proches de la destruction, de la mort. Ils se lancent dans une course folle pour échapper au tueur psychopathe au chemin semé de cadavres. Rapidement, des phénomènes paranormaux mettent en danger non seulement les méchants mais aussi Eva et les jumeaux dont elle est enceinte.
Dès les premières pages, le lecteur est piégé. On a beau savoir qui est cet assassin obsédé, on ne peut plus arrêter la lecture. Qu’est-ce qui a déclenché cette folie meurtrière ? Quelle est la cause des phénomènes qui glacent Eva et Alexandre d’effroi et le lecteur de froid ?
LIRE La mort en tête, Sire Cédric, éd. Le Pré aux clercs, 564 p., 19,90 €.

vendredi 24 janvier 2014

Poing à la ligne



« Le 6 avril 1987 au Caesars Palace de Las Vegas, Marvin Marvelous Hagler, champion du monde des poids moyens, rencontre en douze reprises de trois minutes Ray "Sugar" Leonard, titre en jeu. Depuis, il existe deux catégories de gens : ceux qui croient que Leonard a gagné et ceux qui savent que Hagler n'a pas perdu. » Ça c’est la théorie de Frédéric Roux dans « La classe et les vertus ». Comme pour son « Alias Ali » justement récompensé par le Prix France Culture-Télérama, le livre est brillant, percutant même si, ici, le style est beaucoup plus classique. Alors emballé ? Ben avec quand même une réserve de taille : Leonard n’a pas volé Hagler, il l’a dépassé, balayé techniquement, bluffé durant l’exceptionnelle 11e reprise, tordu psychologiquement dans un combat divin, pas loin d’être le « vrai » combat du XXe siècle. Leonard a gagné, poing. Tout le reste n’est que du révisionnisme pugilistique,  Monsieur Roux.
Laurent Gentilhomme
LIRE « La classe et les vertus », Frédéric Roux, éd. Fayard, 208 p., 19 €.