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vendredi 26 juillet 2013

Le coup de coeur de Jacques Bertho



Pacho coule des jours malheureux-mais-on-s’arrange en prison aux Canaries quand il sauve par hasard la vie de Dimitri, fieffé mafieux ma foi, à la fois originaire de l’espagnole province de Navarre et de Moscou, ville de tous les excès, Gotham City à la sauce russe.
Imprévisible foldingue bandit de grand chemin, Dimitri prend Pacho sous sa coupe quand il est libéré, et l’entraîne dans un périple délirant et sanglant qui lui fait croiser une kyrielle de personnages particulièrement hauts en couleurs, et parfois aussi dangereux qu’impitoyables. Le sens de l’humain, chez les maîtres de la mafia russe, est très… relatif, les discussions se font volontiers au calibre, quand on mange, on baffre, et quand on fête, c’est façon bacchanales…
Une manière de polar dessiné à la Goya, en forçant le trait de manière assumée, d’une écriture souvent enlevée, ne manquant ni de faconde ni d’esprit, ni d’un cynisme de bon aloi !
LIRE « Vade retro Dimitri », Juan Bas, éd. du Rouergue, 231 p., 20 €.


Le grand-huit de l’amour



Elles sont sœurs, réfugiées dans trois appartements de ce qui reste du palais familial à Cagliari, Sicile. Le reste a été vendu. L’aînée, Noemi, se bat pour reconquérir le faste d’antan. Maddalena, et son mari Salvatore, rêvent quant à eux d’avoir un enfant. Le sexe, ils le font matin, midi, soir, voluptueusement, outrageusement, mais point de bébé à l’horizon. Enfin, la cadette rate tout, c’est même pour cela qu’on la surnomme « la comtesse de ricotta », molle comme le fromage de même nom, « la réalité entière blesse son cœur fragile ».
Bref, le palazzo est fragile, délabré, et ces trois vies aussi. On rafistole comme on peut, les murs comme les âmes, une victoire annonce la prochaine défaite. Et réciproquement. Et le lecteur s’amuse autant qu’il est ému de la grâce que met Milena Agus à raconter l’espoir et le désespoir qui étreignent ces femmes jetées sur le grand-huit de l’amour.
LIRE « La comtesse de Ricotta », Milena Agus, éd. Liana Levi, 128 p., 7,50 €.

vendredi 19 juillet 2013

Le coup de coeur d'Hervé de Chalendar



Dov Shatz, écrivain israélien en lice pour le Nobel, se « lâche » devant un journaliste durant la promotion de son dernier livre. Il évoque notamment la « nécessité d'un Nuremberg pour juger des crimes d'Israël »... Provocation ? Sans doute, d'autant que c'est une excellente promotion. Mais c'est aussi un suicide sentimental : Shatz se coupe, ou en tout cas s'éloigne, de ceux qu'il aime, et qui l'aiment. Des lecteurs, de sa fille, devenue pieuse, ou encore de son ex-femme, qui laisse le mot « abject » sur son répondeur. Il cultive la haine, dans ce pays où elle pousse trop bien. Elle prend le visage épais d'un homme triste, qui a perdu sa femme dans un attentat. Et la tension monte à mesure que le Nobel se précise... Voici un petit roman admirable, finement écrit, tissé avec des voix diverses et qui dit bien mieux que les analyses les plus érudites la complexité de la vie aujourd'hui à Jérusalem.
LIRE « Un Nouvel an de pierres », Shmuel T. Meyer, éd. Gallimard, 137 p., 13,90 €.

vendredi 12 juillet 2013

Romans coréens, par Anne Vouaux



Balancé à l’eau par son père désespéré, un enfant est recueilli par un vieillard, vivant isolé au bord du lac en compagnie de son petit-fils. Devenu enfant-poisson à écailles et branchies, cet individu privé d’identité et élevé à l’insu de tous présente cette capacité de résilience à faire pâlir d’envie les enveloppes vides que nous sommes devenus, semble dire Gu Byeong-mo dans « Fils de l’eau ». Sur le mode de la fable poétique et sensible, l’auteur oppose des êtres pétris de violence à cette créature unique, privée de toute culture, libre, enviable.
Dans « L’étrangère », Eun-Ja Kang fait le récit autobiographique et parfaitement linéaire de sa vie : son enfance dans une famille villageoise très pauvre, son accès à l’éducation et son succès universitaire éblouissant. Hors de tout contexte politique, il est question ici d’une société basée sur l’entraide familiale, sur la reconnaissance du travail, mais aussi sur la volonté d’une jeune fille qui aurait pu être une Française des années 1960, dont on apprend finalement peu de choses. Excès de pudeur ?
Roman doux-amer plutôt touchant, « Adieu le cirque » croise le regard d’une Chinoise d’aujourd’hui, que la misère a poussée, comme nombre d’autres jeunes filles de son pays, à épouser un Coréen via une agence de rencontres spécialisée, et celui du frère du jeune marié. Sous la douceur des arbres en fleurs, pointent l’amertume et la solitude.
Se voulant satire de la société coréenne actuelle, « Le placard », de Kim Un-Su, emporte le lecteur dans un tourbillon de personnages loufoques. Pour tromper l’ennui dans son travail administratif de petit bureau, un trentenaire ouvre un placard d’où émergent de drôles de gens, dont un homme auquel pousse un ginkgo au bout du doigt. On pense au film « Brazil », en moins drôle.
LIRE « Fils de l’eau », Gu Byeong-mo, éditions Philippe Picquier, 194 p., 18,50 €. « L’étrangère », Eun-Ja Kang, éd. du Seuil, 279 p., 19 €.
« Adieu le cirque », Cheon Un-yeong, éd. Serge Safran, 259 p., 18,50 €.
« Le placard », Kim Un-Su, Ginkgo éditeur, 354 p., 21 €.