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vendredi 25 avril 2014

Réunifiée ?



Berlin 1985. La ville et le pays sont coupés en deux. Un couple et leur petite fille d'Allemagne de l'Est veulent passer à l'Ouest. Mais le transit rate. Les adultes mourront dans un accident de voiture en Roumanie.
Berlin de nos jours. Judith Kepler est nettoyeuse de logements où une personne vient de décéder. Ce jour-là, alors qu’elle range le domicile d’une certaine Christina Borg, sauvagement assassinée, elle découvre son propre dossier du temps où elle se trouvait, enfant, dans un orphelinat de l’ex RDA. Commence alors une course poursuite à travers le pays et jusqu’en Suède. Les services secrets des deux ex Allemagne coursent Judith. Pourquoi ? Que s'est-il vraiment passé en 1985 ?
Avec un art certain du flash-back, l'auteure nous emmène dans un Berlin qui se reconstruit encore et toujours. Elle fouille les doutes, les failles, les emplâtres de la vie quotidienne d'après la réunification. Passionnant.
LIRE « Témoin des morts », Elisabeth Herrmann, éd. Fleuve noir, 458 p., 19,90 €

On vit encore, mais plus comme avant


Jean-Noël Pancrazi

Mady s’est fait attraper. Prudent, il l’était, pourtant, constamment sur le qui-vive. Ça n’a pas suffi. Un contrôle, il n’a pas de papiers, il est embarqué direction l’aéroport de Roissy et sa sinistre Zapi, la « zone d’attente pour personnes en instance ». Dans quelques heures, on va le jeter dans un avion, il va revenir chez lui sans l’avoir voulu, avec par-dessus tout la honte de rentrer sans rien. D’avoir échoué.
Jean-Noël Pancrazi, le merveilleux romancier qu’est Jean-Noël Pancrazi, illumine une nouvelle fois le destin des oubliés, lui qui ne peut s’empêcher de s’approcher de la misère du monde, de la prendre à bras-le-corps, de se le reprocher ensuite, et de recommencer. Car il aime Mady, comme il en a aimé d’autres dans ses livres précédents, et dans sa vie évidemment, Mady qui posait sa valise chez lui, qui se reposait chez lui des tourments d’une existence de sans-papiers, Mady qui vivait une passion inconsidérée pour Mariama, Mady et Diam’s, son enfant, Mady et ses congénères au foyer près du Père-Lachaise, un homme « indétectable » - c’est le titre du roman – puisque, à la fois, cet homme se faisait transparent pour éviter les ennuis et nous, les passants dans la ville, ne voyions plus ces êtres condamnés à l’ombre. Dans une langue somptueuse, littéralement liquide, source, rivière, fleuve, delta, l’auteur célèbre, sans jamais se donner le beau rôle, ces exilés de fortune, qui ne demandent qu’à transmettre ce qu’on leur a appris, au village : qu’«il suffisait d’un atome de bien qu’on faisait, qu’on lançait, et tout le bien revenait vers vous par le ciel. »
Au passage, Jean-Noël Pancrazi se souvient que, lui aussi, fait partie d’une dynastie d’exilés : son père avait dû quitter l’Algérie, « ce pays qu’il ne retrouverait jamais », ce père « qui était, qui restait algérien. » 
Anne Plantagenet
Pour Anne Plantagenet, c’est la même chose. Fille, petite-fille, arrière-petite-fille de pieds-noirs, elle a toujours su qu’un jour il faudrait qu’elle aille en Algérie. Un pays qu’elle n’a pas connu, mais où sont ses racines. Et celles de son père. Le 25 septembre 2005, elle s’est envolée avec lui pour « Trois jours à Oran ». Pour retrouver un appartement, une lumière, des visages, des odeurs. Et surtout la ferme familiale de Misserghin, non loin de la ville. Elle n’a aucune idée de ce qu’ils vont trouver là-bas, elle ne sait même pas si elle a eu raison de plonger dans cette galère. L’Algérie, ce n’est pas son histoire : « pourtant, ça me regarde, je n’ai pas de doute là-dessus. » Aller là-bas, c’est un risque à prendre. C’est peut-être aussi remettre droit sa vie bancale, depuis qu’elle a quitté un mari aimant, parfait, pour une passion insensée, dont elle semble ne pas se remettre. C’est ne guérir de rien, mais parcourir un chemin qui « me délivre enfin de la honte des origines et me redonne l’orgueil de celles-ci. » Elle découvre qu’en partant, on laisse toujours quelque chose. On a l’impression de vivre encore, mais plus comme avant. Mais aussi qu’il reste tant à transmettre. Un récit farouche et mélancolique.
LIRE « Indétectable », Jean-Noël Pancrazi, éditions Gallimard, 140 p., 13,90 €.
« Trois jours à Oran », Anne Plantagenet, éditions Stock, 176 p., 17 €.

vendredi 18 avril 2014

Les coups de coeur de Laurent Gentilhomme



Philippe Druillet, géant de la BD de science-fiction, créateur de « Lone Sloane » et authentique cintré toujours vivant de 70 printemps se raconte. Avec cet autoportrait d’une immodestie jubilatoire – en gros Georges Lucas et Georges Miller lui doivent tout -  on plonge dans l’époque délirante et destructrice de Pilote, des Humanoïdes Associés et surtout de Métal Hurlant. On apprend au passage qu’il se prénomme Philippe en hommage à Philippe Henriot, le patron de la milice française, et ses parents étaient deux abominables crevures collaborationnistes – c’est lui qui le dit - condamnés à mort par contumace à la Libération. Il se construit tant bien que mal, plonge dans la BD, et tombe amoureux de Nicole qui meurt d’un cancer en 1975. Cette fois Druillet plonge pour de bon dans l’alcool et la dope (il a vendu sa maison pour s’acheter sa poudre !), coule, ressuscite et se raconte enfin. On en redemande !
LIRE « Delirium », Philippe Druillet avec David Alliot, éd. Les arènes, 304 p., 17 €.


Précision : ce n’est pas parce l’on a déjà beaucoup dit de bien de Craig Johnson dans cette page que l’on n’a pas le droit d’enfoncer le clou rouillé dans une planche pourrie. Oui, « Molosses », la dernière aventure de Walt Longmire dans un Wyoming glacé et peuplé de givrés absolu est un foutu bon bouquin, sec comme un coup de trique, avec une énigme totalement barrée et un shérif encore un peu plus au bout du rouleau. L’écriture de Craig Johnson ressemble à un V12 Chevrolet gavé à l’éthanol. Au démarrage, ça pétarade sec, ça fume, ça crache des flammes, mais alors, quand le polar décolle, le lecteur peut s’accrocher aux branches jusqu’à la dernière ligne. On sent qu’il vaut mieux ne pas énerver ce bon vieux Walt Longmire et son pote indien avec des p’tits meurtres entre amis, du trafic de cannabis à la noix, des clébards hargneux… et même un perroquet dépressif et déplumé. Non, faut pas…
LIRE « Molosses », Craig Johnson, éditions Gallmeister, 336 p., 23,60 €.



Vous ne connaissez pas Hap et Collins ? C’est plutôt normal, puisque c’est la première traduction des deux héros américains de Joe R. Landsale. Et là, pour le coup, c’est une sacrée foutue découverte. Deux bras cassés de la plus belle eau, l’un est noir et homo, l’autre blanc et hétéro tendance chaud lapin. Le premier a fait le Vietnam et le second de la tôle pour avoir refusé d’y aller. Les deux sont copains comme cochons et se trouvent embringués dans une intrigue un peu poussive, digne d’un film de jeunesse de Tarantino. N'empêche, ça pétouille joliment, ça sanguinole joyeusement sur un air de Hank Williams – oui, bon, tout n’est pas parfait non plus – et finalement on s’attache à Hap et Collins comme un pain de plastic mal dosé à une sous-préfecture corse. Il paraît qu’il y a un gros stock d'autres aventures des deux lascars à traduire, alors qu’on s’active un peu chez Denoël. Merci.
LIRE « Les Mécanos de Vénus », Joe R. Lansdale, éditions Denoël, 238 p., 19,90 €.



En 1852, en Birmanie, le sergent Bowman et quelques soldats sont choisis pour accomplir une mission pour la puissante East Indian Company. L’opération vire au fiasco et le sergent passe, avec une poignée de rescapés, de longues années dans les prisons birmanes. On le retrouve à Londres six ans plus tard, traumatisé par ce qu'il a vécu et accusé à tort d'un meurtre. Sur la scène du crime, un mot est inscrit avec le sang du mort : SURVIVRE… Bowman sait lequel de ses compagnons de captivité a pu commettre l’assassinat. Des bas-fonds du Londres prolo aux Etats-Unis de la conquête de l’Ouest, ce soldat perdu, alcoolo, traque le meurtrier. Dans ces « Trois mille chevaux vapeur », on retrouve tous les codes d’un grand roman d’aventures et de rédemption. Même si Antonin Varenne n’est pas tout à fait Conrad ou Stevenson, c’est foutrement bien écrit et passionnant.  À glisser dans un sac de plage !
LIRE « Trois mille chevaux vapeur », Antonin Varenne, éditions Albin Michel, 554 p., 22,90 €.