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jeudi 30 août 2012

Jeudi, les meilleures ventes


Romans

1. « Barbe bleue », Amélie Nothomb, éditions Albin Michel, 16 €.
2. « La liste de mes envies », Grégoire Delacourt, éditions J.C. Lattès, 16 €.
3. « Les lisières », Olivier Adam, éditions Flammarion, 21 €.
4. « Home », Toni Morrison, Christian Bourgois éditeur, 17 €.
5. « La Sirène », Camilla Läckberg, éditions Actes Sud, 24 €.
6. « 7 ans après… », Guillaume Musso, XO éditions, 22 €.
7. « Si c’était à refaire », Marc Levy, éditions Robert Laffont, 21 €.
8. « Pour seul cortège », Laurent Gaudé, éditions Actes Sud, 18 €.

Essais et documents

Laurent Binet
1. « Rien ne se passe comme prévu », Laurent Binet, éditions Grasset,
17 €.
2. « L’âme du monde », Frédéric Lenoir, NiL éditions, 18 €.
3. « Le sel de la vie », Françoise Héritier, éditions Odile Jacob, 7 €.
4. « Les Strauss-Kahn », Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin, éditions Albin Michel, 20 €.
5. « XXI, n°19 : Ces héros d’Amérique latine », collectif, éditions XXI, 16 €.
6. « Une larme m’a sauvée », Angèle Lieby, Hervé de Chalendar, éditions Les Arènes, 17 €.
7. « A feu et à sang : carnets secrets d’une présidentielle de tous les dangers », Roselyne Bachelot-Narquin, éditions Flammarion, 18 €.
8. « Méditer, jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience », Christophe André, éditions L’Iconoclaste, 25 €.

SOURCE Ce classement des meilleures ventes du 20 au 26 août 2012 est une exclusivité LIVRESHEBDO/IPSOS

vendredi 24 août 2012

Yan Lianke : le coup de coeur d'Anne Vouaux


Immense talent que celui de l’auteur chinois Yan Lianke, qui se définit comme « le fils irrespectueux du réalisme », aussi virtuose à manier la dérision que l’émotion, jouant de sentiments contradictoires pour hypnotiser son lecteur, qui reste pantelant, entre horreur et délectation, à la lecture de « Les quatre livres ». Ces quatre livres, ce sont quatre regards pour dépeindre la survie d’intellectuels envoyés dans un centre de « novéducation » dans le Henan, sur les rives du Fleuve jaune, entre 1959 et 1961, à l’époque où Mao voulait se faire aussi gros que le bœuf et exploser la production mondiale d’acier. On sait ce qu’il advint : une famine entraînant 40 millions de morts. Ici, les hommes sont placés sous l’autorité d’un enfant qui ne sait qu’obéir aux ordres, sanctionner, récompenser, appeler à la délation. Caresser pour mieux casser, broyer les ego de ses prisonniers. Comme dans ses précédents écrits, dont le magistral « Les jours, les mois, les années », Yan Lianke puise dans un sujet spécifique – ici, la persécution des intellectuels chinois sous Mao - pour atteindre à l’universel.
Sorte d’évangile au ton apocalyptique, le premier livre agite le châtiment des hommes. Les deux autres, rédigés par l’écrivain du groupe de prisonniers, décrivent la vie quotidienne des intellectuels, horrible de privations, ponctuée d’espoirs et de compromissions. Le dernier, relecture du mythe de Sisyphe, nous dit comment, quand l’homme a trouvé un sens à sa peine, il peut supporter l’innommable. Car quand renaissent les sentiments, la vie retrouve un sens même à l’absurdité la plus complète.
« Je ne me considère pas comme un militant, je ne cherche pas le conflit, mais je veux préserver ma liberté d’écrivain dans la description de l’authenticité de la réalité. » Publié à Hong Kong, ce roman de Yan Lianke, auteur tantôt acclamé par la critique chinoise, tantôt décrié, ne sera sans doute jamais publié en Chine continentale. Grâce à ses mots, la violence et la cruauté touchent au sublime. C’est violent, cruel, captivant.
Anne Vouaux
LIRE « Les quatre livres », Yan Lianke, éd. Philippe Picquier, 411 p., 20,80 €.

La barbe

Dans ce remake de « Barbe bleue », Saturnine, une jeune femme, qui donne des cours à l’école du Louvre loue une chambre à un noble reclus dans sa splendide demeure parisienne depuis vingt ans. Il a aimé huit femmes, les a toutes tuées. Il n’a pas supporté qu’elles cherchent à connaître son secret, celui de la chambre noire. Saturnine, les secrets, elle s’en fiche. Cette légèreté rend dingue notre misanthrope, et fait chavirer son cœur pour Saturnine. Elle, elle préfère le champagne, le meilleur. Ils prennent l’habitude de dîner des meilleurs mets, accompagnés de bulles de cet or liquide. Et ils philosophent. Ils ne savent pas mentir, le jeu en est d’autant plus redoutable.
On a peine à le croire tant le roman est pavé de bonnes intentions, mais le charme n’agit pas. Les saillies d’Amélie Nothomb, souvent brillantes, tombent à plat, on dirait un recueil de citations relié par des dialogues de série B. Snif.
LIRE « Barbe bleue », Amélie Nothomb, éd. Albin Michel, 174 p., 16,50 €.

jeudi 23 août 2012

La rentrée littéraire 2012 en ordre de bataille


La crise atteint aussi la librairie. Les éditeurs français abordent la rentrée, le moment-clé de l’année littéraire, entre espoir et prudence.

Avec 646 romans français et étrangers programmés entre août et octobre, la production de la rentrée littéraire 2012 recule très légèrement par rapport à 2011, lorsque 654 romans étaient annoncés… et beaucoup plus nettement par rapport à 2010 (701 !). Une baisse qui symbolise la relative prudence des éditeurs dans un contexte économique tendu. Pour autant, cette retenue n’est pas synonyme de repli.
Car chaque éditeur veut croire en sa bonne étoile. Comme chaque automne, il y aura quelques (très) heureux, notamment pour ceux qui décrocheront l’un des prestigieux prix littéraires - le Goncourt en tête -, et beaucoup de déçus. Mais le jeu continue d’en valoir la chandelle.
Les incontournables de cette rentrée s’appellent Amélie et Olivier. Amélie comme... Amélie Nothomb. En 1992, une jeune romancière belge faisait une entrée fracassante en littérature avec « Hygiène de l’assassin », un huis clos entre un écrivain, misanthrope de la pire espèce, et une délicate journaliste qui renverra le vieil aigri dans ses cordes. Depuis, Amélie Nothomb n’a pas raté une seule rentrée littéraire. Et, pour son vingtième roman en vingt ans d’édition, elle publie « Barbe bleue », à la fois variation autour du célèbre conte et clin d’œil à « Hygiène de l’assassin ». Le roman est une déception à la hauteur de l’attente en cette année anniversaire (voir notre critique dans un prochain post).
Olivier Adam
L’autre roman très attendu de cette rentrée est « Les Lisières » d’Olivier Adam. Ce dernier, publié désormais chez Flammarion, raconte comment un certain Paul Steiner, à la personnalité coutumière chez Olivier Adam, de retour dans la banlieue de son enfance, va être confronté à ses origines, un monde qu’il a fui. Il a là le destin d’un homme et le portrait de la France d’aujourd’hui. En presque 500 pages, un impressionnant état des lieux.
Du côté des événements, on citera également Laurent Binet pour « Rien ne se passe comme prévu » (éditions Grasset), le journal de la campagne présidentielle par l’auteur qui a suivi de près François Hollande ; Jean Echenoz pour « 14 » (éd. de Minuit) qui s’ouvre le jour de la mobilisation générale suite à l’entrée en guerre de la France en août 1914 ; Laurent Gaudé qui s’attache aux derniers jours d’Alexandre le Grand dans « Pour seul cortège » (éd. Actes Sud) ; Philippe Claudel, désormais membre du jury du Goncourt, qui rend hommage dans « Parfums » (éd. Stock) aux paysages lorrains et au milieu modeste dont il est issu ; Philippe Djian qui raconte dans « Oh… » comment une femme, à qui tout réussissait, se fissure après une agression.
Bien évidemment, d’autres grands noms seront présents : Christine Angot, Agnès Desarthe, Véronique Olmi, Linda Lê, Marie-Hélène Lafon, Patrick Modiano, Luc Lang, Philippe Delerm, Florian Zeller, Mathias Enard, Tahar Ben Jelloun, tant d’autres encore. On signalera la très belle brochette d’auteurs annoncés chez Grasset, avec par exemple Pascal Quignard (qui évoque ceux qui tombent et se relèvent dans « Les Désarçonnés »), Christophe Donner (qui met en scène la folie du jeu, des courses dans « A quoi jouent les hommes ») ou Patrick Roegiers (pour « Le bonheur des Belges », une vision picaresque de la Belgique). Et Claudie Hunzinger, la « locale » de cette rentrée littéraire, qui, après « Elles vivaient d’espoir », revient avec « La Survivance », où elle raconte la joie d’avoir vécu une existence au service de l’inutile, un livre qui est également un hommage au compagnon de sa vie… et aux livres. Et puisqu’on parle des auteurs liés à notre région, il faut saluer le retour de Max Genève avec « Virtuoses », un roman qui porte parfaitement son titre et dont nous parlerons plus en détails ici même vendredi prochain.
Enfin, du côté des livres étrangers, c’est évidemment la parution du premier roman pour les adultes de J.K. Rowling, la créatrice d’Harry Potter, qui fait l’événement. « Une place à prendre » paraîtra le 28 septembre. Dans une ambiance très british, la romancière met en scène la bourgade de Pagford, son abbaye, ses cottages, sa place du marché, un quotidien qui va être bouleversé par une mort bien soudaine… Autres auteurs étrangers à suivre : Salman Rushdie pour « Joseph Anton » (éd. Plon), Chuck Palahniuk pour « Snuff » (éd. Sonatine), Jim Harrison pour « Grand maître » (éd. Flammarion), Toni Morrison pour « Home » (éd. Bourgois) ou Philip Roth pour « Némésis » (éd. Gallimard).


mercredi 22 août 2012

Les souvenirs mulhousiens de Max Genève


Jean-Marie Geng, l’Alsacien, l’universitaire polémiste, est devenu le romancier Max Genève. Il revient sur ses années de jeunesse mulhousienne.

Nous sommes au 79 de la rue de Bâle, à égale distance du parc Salvator et du canal du Rhône-au-Rhin. L’immeuble est toujours là, ce qui ne va pas de soi. Max Genève se souvient de ses années d’enfance, quand il s’appelait encore Jean-Marie Geng. « Une madame Fimbel habitait au premier étage. Maman bavardait souvent avec elle dans l’escalier, le temps me paraissait long, je tirais sur sa robe. Papa préférait bavarder avec une autre habitante de l’immeuble, Lucienne S., danseuse étoile au ballet municipal. Trop jeune pour lui, disait maman, pour se rassurer. Moi, j’avais peur de l’entrée de la cave d’où émanait une odeur bizarre et où nous ne descendions jamais, je savais que les morts ont leur demeure sous terre. »
Des fenêtres de l’appartement, la famille est aux premières loges pour assister aux événements. Le matin du premier mai, de longues files de cyclistes joyeux filent vers la Hardt pour cueillir du muguet. Le quatorze juillet, une colonne de véhicules de pompiers, avec la grande échelle, conduite par le colonel Ludmann dans son command-car rejoint, après un tour triomphal en ville, le défilé des troupes place du Quatorze-Juillet.
C’est aussi par la rue de Bâle, mais dans l’autre sens, que tous les ans, le cirque Pinder ou Amar entre dans Mulhouse. Là, encore, les souvenirs sont vifs : « À cheval parmi les cavaliers du Far West, nous dévorions des yeux le camion-lion transporteur de fauves. Clowns, jongleurs et trapézistes nous épataient, mais la troupe des éléphants inspirait le respect : une année, un pachyderme mauvais coucheur a troublé l’ordre public en piétinant l’étal d’un épicier imprudemment resté ouvert, après avoir englouti un plein cageot de laitues. » Et si l’année offre en plus un passage du Tour de France, c’est le bonheur complet.
Le dimanche, il faut aller à la messe (voir ci-dessous). Le curé avait remarqué que l’automobile concurrençait Dieu. Il organisait donc au printemps une cérémonie de bénédiction des voitures. Après la messe, les véhicules, briqués de frais, défilaient sous le goupillon. Max Genève sourit : « Quand la télévision entra massivement dans les foyers – marque évidente de concurrence déloyale –, Dieu jeta l’éponge. »
En 1955, il faut déménager. La famille s’est agrandie, quatre enfants dans le trois pièces de la rue de Bâle, ça n’est plus possible. Direction, le 6 allée Gabrielle-Koechlin, dans une petite barre alors flambant neuve. Chanceux, Jean-Marie ne perd pas de vue ses copains puisqu’il reste à l’École des frères… et, dit-il, « le plaisir du nouveau a vite compensé la nostalgie de mon ancien quartier. » Il habitera allée Koechlin jusqu’au bac… avant de se lancer dans des études universitaires à Strasbourg. Là, il vivra au FEC pendant deux ans, puis dans diverses chambres de bonne (« hélas sans la bonne »), notamment rue de Molsheim où, par absence de chauffage, il devait dormir habillé.
Quand viendra l’heure de se consacrer entièrement à la littérature, Max Genève quittera l’Alsace. Il vit aujourd’hui entre Paris et Bordeaux.

Max Genève, bio express
 
« Je suis un homme de l’Est, et du sombre. » Voilà comment se définit Max Genève, né Jean-Marie Geng à Mulhouse en 1945. Après avoir grandi à Mulhouse, il poursuit des études universitaires à Strasbourg (maîtrise de philo, doctorat de socio), avant d’y enseigner la sociologie pendant une dizaine d'années. Il publie à cette époque quatre essais, tous polémiques et salué par Barthes, Bourdieu ou Derrida, dont le plus connu est « Mauvaises pensées d’un travailleur social ».
En 1980, il démissionne, quitte l’Alsace, décide de se consacrer à la littérature et, pour marquer ce passage, choisit une nouvelle identité : Max Genève. Après un court récit, « La Prise de Genève », dans lequel il explique pourquoi il a changé de nom, puis un recueil de nouvelles (« Notre peur de chaque jour »), son premier roman, « Ma nuit avec Miss Monde » paraît en 1981 aux éditions Stock. Depuis, il a publié plus de vingt livres, alternant plusieurs veines : fantastique, musicale et policière (dont les six de la série « Simon Rose », un enquêteur beau gosse dans l’esprit d’un Nestor Burma). Il fait aujourd’hui son grand retour en littérature générale avec « Virtuoses » (éd. Serge Safran).

vendredi 17 août 2012

Questionnaire de Proust (7)

Chaque semaine durant l’été, un auteur répond à notre variation autour du fameux questionnaire de Proust. Aujourd'hui, l'illustrateur Christian Heinrich.

  • Mon principal trait de caractère : le calme, tant que j’en ai en conserve
  • Mon principal défaut : le doute aigu
  • La qualité que je préfère chez un homme : la sagesse et sa part féminine
  • La qualité que je préfère chez une femme : l’humour
  • Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : leur courriers, leurs pensées, leurs conseils
  • Mon occupation préférée : surmonter les contradictions quotidiennes pour en retenir opportunément une. Puis la résoudre avec humour, philosophie et parfois en bonne compagnie.
  • Mon rêve de bonheur : comment ne pas souhaiter à cette génération d’hommes, dont s’élève petit à petit la conscience collective de l’urgence et les moyens techniques, de préserver ensemble le bien-être du monde animal et végétal ?
  • Quel serait mon plus grand malheur ? Que le souhait précédent ne se produise que trop tard...
  • Ce que je voudrais être : en paix au plus près de moi-même, et en progrès
  • Mon livre de chevet : « Le dépaysement » de Jean Christophe Bailly
  • Mes héros/héroïnes préférés : Pénélope, Michel Strogoff, Jean Valjean, Cyrano, Winnetou, Nils Holgersson, Huckleberry Finn
  • Mes héros dans la vie réelle : Tous ceux, humanistes, philosophes, artistes, humbles, qui soulèvent un cheval, et le jetant sur leurs épaules, se mettent en marche vers leurs rêves.
  • Ce que je déteste par-dessus tout : L’injustice, l’iniquité et la turpitude.
  • Le don de la nature que je voudrais avoir : faire « chanter » un instrument à cordes ou à vent.
  • Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence : l’entêtement quand il vire à l’obstination.
  • Ma devise : « Il vaut mieux qu’il pleuve un jour comme aujourd’hui, qu’un jour où il fait beau » (Pierre Dac)
DERNIER LIVRE PARU « Pas de poules mouillées au poulailler » (2011), « Les P’tites Poules et la grande casserole », éd. Pocket, à paraître en octobre 2012.

Bambois, là où l’on voyage sans bouger

Avec Francis, son compagnon de toujours, Claudie Hunzinger a construit un lieu magique et une œuvre fascinante. Ou comment faire de chaque difficulté une joie.

Bambois. Un bout du monde au-dessus de Lapoutroie. Un corps de ferme, un abreuvoir, un étang, des ânes, du linge qui sèche sur l’herbe, une boîte aux lettres (oui, le facteur vient chaque jour jusqu’ici). Et la pente, partout. Claudie et Francis Hunzinger apprivoisent ce lieu frontière entre la nature et les hommes depuis près d’un demi-siècle. « Ce lieu, Francis a tout de suite vu qu’il était beau, se souvient Claudie. Moi, je le trouvais fonctionnel, que des prés, pas de haies, pas d’arbres. » Depuis, des arbres ont grandi. Trop. « Nous ne cessons de lutter contre la forêt, c’est un combat contre la nature qui est devenu un combat avec la nature, car tu apprends à gérer sa force. »
Qu’est-ce qui a bien pu pousser le jeune couple à s’aventurer là-haut ? Il y avait l’époque, ces années d’insouciance, de libération, ces films qu’on allait voir, « L’Avventura », « Jules et Jim ». Il y avait Francis qui « voulait une vie de poète, contemplative. » En plein exode rural, c’est donc l’installation à Bambois en 1965. Claudie enseigne au lycée Bartholdi de Colmar, et fait presque chaque jour l’aller-retour avec sa montagne. Leurs conditions de vie sont rudimentaires, « mais ce n’était pas le camping, c’était plus exposé. Il fallait travailler, faire les foins, dégager la neige, alors que nous étions de grands enfants. On ne l’aurait jamais fait si nous avions été plus prévoyants. On faisait la paire, Francis et moi, on a toujours privilégié l’inutile. » Il y avait la fatigue, et sa récompense : « quand l’hiver avait été horrible, ça signifiait pour nous qu’il avait été d’autant plus magnifique. »
Les enfants naissent, Chloé en 1966, Robin en 1969 (qui est à son tour installé en couple à Bambois). Il faut faire face à de nouvelles contraintes. « Nous n’avions ni chasse-neige, ni 4x4, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans ma famille. Nous n’avions rien prévu. » Claudie démissionne de l’Education nationale en 1972.
Bambois va devenir au fil des années le creuset de l’imaginaire des Hunzinger. Claudie va transformer l’herbe en verbe. Elle, ce qu’elle veut, c’est donner un nom à tout ce qui l’entoure, et créer un nouveau langage en jouant de l’opposition sauvage/nature qui la passionne. « Ce lieu, dit-elle, m’a permis la découverte de mondes différents. J’y ai trouvé la possibilité de voyage, d’exploration en tous sens, sans bouger. »
Aujourd’hui, Claudie se partage entre son travail d’artiste, ses « pages d’herbe » et l’écriture. Elle avait publié « Les Enfants Grimm », un récit, à la fin des années 80. Puis plus rien. « J’avais abandonné, je pensais que je n’y arriverais plus jamais. » Jusqu’à ce que Robin lui demande de créer la voix-off du documentaire qu’il préparait autour de la vie d’Emma et de Thérèse, qui tentèrent dans les années 30 et 40 de construire une existence engagée et amoureuse. Emma était la grand-mère de Robin, la mère de Claudie. « J’écrivais un tombeau pour ces deux femmes, il était hors de question que je les laisse. » Cette nécessité devient alors un roman, « Elles vivaient d’espoir » (qui sort en poche, chez J’ai lu, le 5 septembre). Le nouveau, « La Survivance », paraît le 3 septembre prochain. Un livre en guise d’« exercice de détachement » de Bambois. Pour échapper à la terrible question : que va devenir ce lieu quand je ne serais plus là ? Transmettre avant de tout laisser. Pour, encore une fois, « fonctionner au désir, jamais au regret. »

Claudie Hunzinger, bio express

Si Claudie Hunzinger est née en 1940 à Turckheim, sa grande date, c’est 1945. C’est en effet à l’école maternelle qui ouvrait alors à Colmar qu’elle rencontre Francis. Ces deux-là ne se quitteront plus.
Claudie, après avoir préparé le professorat de dessin au lycée Claude-Bernard de Paris, enseigne de 1965 à 1972 au lycée Bartholdi de Colmar, avant de rejoindre Bambois à temps plein pour s’y consacrer à son travail d’artiste. Son grand-père, instituteur, lui avait donné le goût des plantes grâce à l’herbier qu’il tenait. De cet héritage, elle se fait alchimiste, transformant l’herber en verbe. En 1973, elle fait paraître aux éditions Stock « Bambois », le journal de bord de l’apprentissage de leur vie verte.
En 2010, elle publie « Elles vivaient d’espoir », un vibrant hommage à Emma, sa mère, et à Thérèse, deux femmes qui ont l’apprentissage douloureux de l’émancipation dans les années 30 et 40. Une publication qui se double d’une rencontre avec l’éditrice Martine Boutang, devenue la « grande petite sœur » de Claudie Hunzinger. Martine Boutang qui la pousse à continuer : « Tu ne peux pas en rester là. » La suite : « La Survivance », un nouveau roman qui sort le 3 septembre aux éditions Grasset.

EN SAVOIR PLUS www.bambois.com

dimanche 5 août 2012

Sous la chaleur, les meilleures ventes

Voici, au cœur de l’été, les meilleures ventes de livres.

Romans

1. « La Sirène », Camilla Läckberg, éditions Actes Sud, 24 €.
2.  « La liste de mes envies », Grégoire Delacourt, éditions J.C. Lattès, 16 €.
3. « Si c’était à refaire », Marc Levy, éditions Robert Laffont, 21 €.
4. « 7 ans après… », Guillaume Musso, XO éditions, 22 €.
5. « Le grand Cœur », Jean-Christophe Rufin, éditions Gallimard, 22 €.
6. « La mort s’invite à Pemberley », P. D. James, éditions Fayard, 22 €.
7. « Rien ne s’oppose à la nuit », Delphine de Vigan, éditions J.C. Lattès, 19 €.
8. « Le templier noir », Éric Giacometti, Jacques Ravenne, éditions Fleuve noir, 20 €.
9. « La formule de Dieu : l’énigme d’Einstein », José Rodrigues dos Santos, HC éditions, 22 €.
10. « Les années perdues », Mary Higgins Clark, éditions Albin Michel, 22 €.

Essais et documents

1. « L’âme du monde », Frédéric Lenoir, NiL éditions, 18 €.
2. « Le monarque, son fils, son fief », Marie-Célie Guillaume, éditions du Moment, 18 €.
3. « Les Strauss-Kahn », Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin, éditions Albin Michel, 20 €.
4. « A feu et à sang : carnets secrets d’une présidentielle de tous les dangers », Roselyne Bachelot-Narquin, éditions Flammarion, 18 €.
5. « Le sel de la vie », Françoise Héritier, éditions Odile Jacob, 7 €.
6. « XXI, n°19 : Ces héros d’Amérique latine », collectif, éditions XXI, 16 €.
7. « Méditer, jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience », Christophe André, éditions L’Iconoclaste, 25 €.
8. « Une larme m’a sauvée », Angèle Lieby, Hervé de Chalendar, éditions Les Arènes, 17 €.
9. « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? », Jeannette Winterson, éditions de l’Olivier, 21 €.
10. « Bête noire : condamné à plaider », Éric Dupond-Moretti, Stéphane Durand-Souffland, éditions Michel Lafon, 18 €.

SOURCE Ipsos/Livres hebdo, ventes du 23 juillet au 5 août.

vendredi 3 août 2012

Questionnaire de Proust (6)


Chaque semaine durant l’été, un écrivain répond à notre variation autour du fameux questionnaire de Proust. Aujourd'hui, Xavier Houssin.

  • Mon principal trait de caractère : l’inquiétude
  • Mon principal défaut : l’inattention
  • La qualité que je préfère chez un homme : le silence
  • La qualité que je préfère chez une femme : la proximité
  • Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : la discrétion
  • Mon occupation préférée : rêver
  • Mon rêve de bonheur : que rien, jamais, ne s’en aille, ne s’éteigne, ne disparaisse…
  • Quel serait mon plus grand malheur ? : oublier
  • Ce que je voudrais être : l’enfant que j’étais
  • Mes auteurs favoris : Barbey d’Aurevilly, Jerome K. Jerome, Louis Aragon, Jules Supervielle, Robert Marteau
  • Mon livre de chevet : « M. Bergeret à Paris » d’Anatole France
  • Mes héros/héroïnes préférés : Athos
  • Mes héros dans la vie réelle : qu’est-ce que c’est la vie réelle ?
  • Ce que je déteste par-dessus tout : le bruit, la foule
  • Le don de la nature que je voudrais avoir : parler toutes les langues
  • Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence : comment ne pas être indulgent ?
  • Ma devise : « Is all our life then but a dream ? » (Lewis Carroll dans « Sylvie & Bruno »)
DERNIER LIVRE PARU « La fausse porte », éditions Stock.

Eschentzwiller, le paradis perdu de René-Nicolas Ehni


Malgré le succès parisien, René Ehni aura toujours passionnément aimé son village natal. La séparation n’en fut que plus douloureuse. La Crète est devenue sa terre d’adoption.
photo: Dominique Gutekunst

Avoir grandi rue du Repos et avoir mené une vie de bohême, perpétuellement en mouvement, ça ne s’invente pas. La maison natale de René-Nicolas Ehni est certes toujours là, dans cette rue en pente qui mène à l’église et la mairie d’Eschentzwiller, à quelques kilomètres au sud de Mulhouse. Mais son propriétaire a du s’en séparer. Lui qui a eu, surtout dans les années soixante, tant d’argent dans ses mains n’a pas su le retenir. Généreux, insouciant, parfois inconséquent, il a du hypothéquer la demeure familiale, puis la céder. C’était il y a vingt ans.
De toute manière, rester à Eschentzwiller, son paradis d’enfance, n’était pas au programme. « Sortir du trou », voilà le slogan du jeune adolescent d’après-guerre. Il veut un destin de star, amuser les gens : « Je voulais aller à Hollywood, sans savoir ce que c’est. » Sa Californie sera Paris. En 1953, il réussit le concours d’entrée au Conservatoire de la rue Blanche. Acteur, ça lui va, il est à l’affiche de la Comédie-Française, tourne de nombreuses publicités, se prend pour un dandy parisien « en pantalon de tweed rose », mais, en fin de compte, le théâtre ou le cinéma ne lui conviennent pas : « impossible pour moi d’être tous les soirs au même endroit pour jouer, on ne pouvait pas compter sur moi. »
L’Algérie l’appelle, pour trois années de service militaire. Compliqué. D’un côté les bons souvenirs, de l’autre les horreurs. Le jeune et beau soldat fait la connaissance d’une richissime veuve. Il devient son gigolo, vivant « mille ans en une année », accumulant les voyages, les palaces, les rencontres magiques (Moravia, Laura Betti, Pasolini, Elsa Morante). Un soir, Maurice Béjart le voit « danser nu sous la lune ». Coup de foudre, pour « un amour violent » qui va durer trois ans.
Il se partage alors entre Paris et un petit village italien. Il mange chaque semaine avec Simone de Beauvoir… qui trouve très bien son premier roman, « La gloire du vaurien ». Les éditions Julliard, qui l’éditent, espèrent rééditer le « coup » de Sagan. Jeunesse + forte personnalité + talent écoeurant. Ehni devient la coqueluche du Tout-Paris culturel. Là encore, l’enfant terrible va se dérober. On lui propose des chroniques dans la presse parisienne ? Il ne fait aucun effort. Un poste au ministère de la Culture ? Il s’y ennuie à mourir. Lui, ce qu’il aime, c’est la dolce vita, le soleil et l’amour. Christian Bourgois, aujourd’hui décédé, devient son fidèle éditeur, son mentor. Ses pièces de théâtre, notamment en 1968 « Que ferez-vous en novembre ? », sont des succès.
René, cependant, a fait le tour des honneurs, des cocktails, des soirées parisiennes. En 1972, il se réinstalle, pour quelques années, à Eschentzwiller, lutte contre le projet de canal à grand gabarit… et fait une rencontre déterminante : Louis Schittly, le médecin installé à Bernwiller, les deux compères se trouvant l’un l’autre « pour zoner », notamment dans les Balkans. Tous deux se convertissent à l’orthodoxie (« pour manifester que Dieu n’est pas un concept ») et, en 1982, après la mort de sa mère, René fait le grand saut : c’est l’installation en Crète. Une nouvelle patrie, un mariage, des enfants. Depuis, inlassablement, jour après jour, l’écrivain indomptable noircit des cahiers de fulgurances politiques, poétiques, spirituelles. De temps à autre, l’un de ses éditeurs en publie quelques-uns. La plupart sont inédits. Une bonne nouvelle : la Ville de Mulhouse vient d’acquérir l’ensemble des archives de René Ehni. Le fonds est déposé à la Bibliothèque Grand’rue, qui devrait le faire vivre régulièrement.

Ehni, bio express
René-Nicolas Ehni, s’il est né en 1935 à Rixheim, a vécu enfant et adolescent à Eschentzwiller, sa scolarité l’entraînant à Colmar (à Saint-André) et à Mulhouse (lycée Lambert). Sa première vocation : devenir comédien. Il monte à Paris, réussit le concours d’entrée du Conservatoire de la rue Blanche, démarre un petit brin de carrière… avant de passer trois ans en Algérie pour son service militaire.
Après le succès de son roman « La gloire du vaurien » (1964) et de pièces de théâtre, il devient l’enfant terrible des lettres françaises. Puis il renonce à la facilité en publiant des livres inclassables qui en font encore aujourd’hui une voix unique dans la littérature. Parmi les plus importants, « Pintades », un tableau grinçant et jubilatoire de l’hypocrisie, de l’ignorance et de la mauvaise foi ambiante, ou les 500 pages de « Babylone vous y étiez nue parmi les bananiers. » En 1980, il se convertit à l’orthodoxie et s’installe en Crète, où il réside toujours avec femme et enfants. Dernier ouvrage paru : « Apnée », en 2008, sélectionné pour le prix Médicis, un hommage à son ami et éditeur Christian Bourgois, décédé l’année précédente.

Ehni est-il lisible ?
Sa maman aurait tellement voulu que son fils écrive des livres compréhensibles par les gens du village. Ça avait pourtant bien commencé avec « La gloire du vaurien » en 1964 : un « vrai » roman, une intrigue, des personnages, une syntaxe « normale ». Mais il y avait eu le scandale : l’homosexualité, l’amoralité de Manni, le double de René Nicolas. Dans les années suivantes, l’élite parisienne avait applaudi ses pièces de théâtre, la critique sociale s’accompagnait d’un texte cinglant, osé, Mai 68 passait par là. Ehni ne reviendrait pas au roman classique.
Depuis, le débat a été maintes fois soulevé : Ehni est-il lisible ? Lui assume parfaitement le paradoxe : il se sent bien au milieu du peuple, vit en Crête dans un dénuement certain, mais il écrit pour les intellectuels, les universitaires. Ses livres sont devenus de plus en plus opaques, sortes de collages psalmodiés mêlant anecdotes personnelles et réflexions sur Dieu, la politique, les mythes… et même le football. Une voix unique, déstabilisante. « Sentiment orgueilleux d’isolement, de se croire méconnu, de mépriser le monde et les voies tracées, de les juger indignes de soi, de s’estimer le plus désolé des hommes, et à la fois d’aimer sa tristesse » écrivait-il dans Pintades, l’un de ses ouvrages les plus fameux.