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vendredi 26 avril 2013

Le coup de coeur d'Anne Vouaux



Des portraits de femmes chinoises, écrits par une Française, dont on ne sait pas précisément s’il s’agit de fiction ou de réalité… Si le propos laisse perplexe, il faut prendre la peine d’être curieux, car ces portraits-là, bien que souvent distanciés, mettent sérieusement le lecteur en empathie avec ces cinq femmes, dont les vies à un moment entremêlées tricotent comme une histoire de la Chine contemporaine. Produits de la révolution culturelle de Mao pour certaines, de la révolution capitaliste de Deng Xiaoping pour les autres, ces femmes ont pour caractéristiques communes leur caractère trempé à la douleur et aux privations de l’enfance et leur « success story ». Des réussites exemplaires qui n’excluent en rien les chutes, les coups fatals du destin, les lézardes. Chacune d’entre elles porte sa faiblesse, mais bien enfouie, car l’heure, en Chine, est à la prospérité éblouissante et sans tache.
LIRE « Cinq femmes chinoises », Chantal Pelletier, éd. Joëlle Losfeld, 131 p., 14,90 €.

Un inédit de Jacques Chessex


Jacques Chessex assiste à l’enterrement d’un voisin. On pleure dans la petite église. L’auteur pensait se sentir léger, au cœur du culte protestant où il reconnaît « l’austérité du remords. » Mais, sur son banc, la cérémonie, les paroles prononcées, le tintement d’une cloche, le plongent dans une « démence calme ». Des visages reviennent à lui, pour lui seul : celui de son père, suicidé il y a un demi-siècle, celui d’une infirmière enflammée dans un rituel sadomasochiste, et, surtout, celui d’un lycéen qui était venu le voir pour échanger sur la mort, le thème central chez Chessex. L’auteur avait été désemparé face à la demande, le jeune homme s’était jeté d’un pont deux jours plus tard. La culpabilité est là, mais on a continué de vivre. Le voisin était un homme bon, Chessex était-il mauvais ? « Comparer devient l’enfer. » « Hosanna », récit posthume de l’auteur, d’une brûlante sensualité, est purement saisissant.
LIRE « Hosanna », Jacques Chessex, éd. Grasset, 124 p., 12,90 €.

Pères et fils, l’amour malgré tout



Il vit « seul, à l’instar d’un ermite, une maison blanche au cœur d’un bois ». Il se promène au milieu des arbres, il les compte, il y règne le silence, mais pas un silence de mort : elle est vivante, cette forêt, c’est même ce qui reste sans doute de plus vivant chez cet homme, tant il est étouffé, écrasé par les souvenirs douloureux.
Jeroen Brouwers

Quatre décennies plus tôt, il avait à peine vingt ans, il a aimé, puis épousé Mirjam. « Qu’est-ce qui m’avait pris de me marier ? » À l’époque, il avait « l’impression de mener une vie sans date et qu’il en serait toujours ainsi, l’impression que le temps filait à blanc sans tenir compte de moi et que je menais une inexistence. » À peine mariée, Mirjam veut un enfant. Il n’en a jamais été question. Il se sauve de la maison, comme bien souvent (il est, et restera, un invétéré coureur de jupons). Revient, se fait avoir, elle tombe enceinte. Ce sera un garçon. Nathan. Il fait de son mieux, mais le lien ne se fait pas. L’enfant grandit, entre les crises qui agitent désormais sans arrêt le couple. Quand son mari rentre d’une énième coucherie, Mirjam craque, et le renvoie. Elle n’autorisera plus aucun contact entre le père et le fils.
Dix ans plus tard, puis encore dix ans après, ces deux-là se reverront, furtivement, par hasard, à New York, puis à Vienne. Le père est devenu prof d’université, le fils a grimpé les échelons de la vie d’artiste, passant de chanteur de rue à producteur de comédies musicales. Le père se confesse, le fils ne veut rien entendre. Les ponts restent coupés. Jusqu’au jour où Mirjam appelle d’Amsterdam : Nathan est atteint d’une maladie rarissime, il n’en a plus que pour six mois. Le père se précipite au chevet de son fils.
Ce qui vient de nous ne nous quitte jamais, rappelle Jeroen Brouwers, l’un des plus grands auteurs néerlandais. Nathan, cet enfant que son père n’a pas désiré, est le sien, envers et contre tout. Incapable de le montrer, il aura aimé éperdument son fils. Et quand il finit par l’appeler « mon petit garçon », le lecteur est bouleversé, déchiré.
Guy Goffette
Simon, le narrateur de « Géronimo a mal au dos », le roman de Guy Goffette, se souvient, quant à lui, de son père. Bien obligé : il est face au cercueil dans lequel ce dernier repose. « Ce danseur crucifié à côté de la piste », ce père qu’il a « fui pour ne pas avoir à le détester ». Ce père désormais sans vie, ces mains comme des battoirs éteints qui s’abattaient autrefois sur Simon plus souvent que de raison.
Simon remonte la pelote des souvenirs. Le temps des regrets est-il venu ? Non, ce qu’il a fait (partir, trahir en quelque sorte les siens, attachés à leur terre), il reste persuadé qu’il devait le faire. Mais une forme de mélancolie, une nostalgie de ce que l’on n’a pas su se dire, prend forme : soudain, ce colosse, qui gît à présent inanimé, prend vie autrement, Simon le voit comme il ne l’avait jamais vu. Fragile, d’une certaine manière. Humain. Et le dialogue posthume s’installe, un chant d’espoir : « est-ce que tu comprends mieux ce fils aîné qui t’aimait sans le savoir, parce que la crainte des pères est une nuit en plein jour pour les enfants ? »
LIRE « Jours blancs », Jeroen Brouwers, éd. Gallimard, 194 p., 20 €.
« Géronimo a mal au dos », Guy Goffette, éd. Gallimard, 180 p., 16,90 €.

vendredi 19 avril 2013

Poésie : Belge qui rit, Houellebecq qui pleure



Un nouveau Houellebecq, c’est forcément un événement. Même s’il s’agit de poésie. Depuis ses débuts, le Goncourt 2010 (avec « La Carte et le territoire ») alterne entre la prose et ses bouts rimés, fragments épars pour lesquels il est difficile de parler d’œuvre. Si au départ, avec « Rester vivant » (1991) ou « Le Sens du combat », quelques irréductibles avaient pu crier au génie post-moderne, la perplexité (au mieux) ou l’ennui (au pire) nous prend tout au long de son nouveau recueil, « Configuration du dernier rivage ».
Houellebecq persiste et signe dans un genre bien à lui, la poésie « banale », sans fulgurances mais attachée au classicisme, parsemée de rimes d’une platitude que ne renierait pas un élève de 6ème. L’auteur y apparaît dans toute sa noirceur (« Je n’ai plus d’intérieur,/De passion, de chaleur »), gémissant sur un amour perdu (thème original s’il en fut en poésie…) et ravivant – geste obligatoire chez lui – son obsession pour le « parler cru » (une partie, sans plus d’intérêt que les autres, s’intitule « Mémoires d’une bite »).
Pour se réjouir, pour le style, le culot, l’originalité, on se tournera, comme souvent, vers la Belgique, d’où nous vient Jean-Pierre Verheggen. L’auteur, entre autres, et aux éditions Gallimard s’il vous plaît, de « Sodome et grammaire » ou de « Ridiculum vitae », a décidé à septante ans qu’il était temps de faire un bilan à sa façon, en exigeant ni plus ni moins de se voir attribuer le « Prix Nobelge » ! D’où ce dossier de candidature jubilatoire et absurde, entre l’Almanach Vermot et les Monty Python, comprenant le rappel de toutes les distinctions déjà glanées, des métiers d’appoint exercés, des ouvrages inédits… ainsi que de textes biographiques plus personnels où, sous le « nonsense » pointent les dégâts de l’âge. Sans oublier de navrants, mais pas sots, aphorismes : « Pire que l’intégrisme religieux, l’intégrisme élogieux et ses grand-messes avec génuflexions. » Laissons Verheggen se définir lui-même : « Osons nous déclarer Roi bouffon  - et bonne poire poétique ! –, bonne poire certes mais éthylique rusé ! »
LIRE « Configuration du dernier rivage », Michel Houellebecq, éd. Flammarion, 102 p., 15 €.
« Un jour, je serai Prix Nobelge », Jean-Pierre Verheggen, éd. Gallimard, 134 p., 15,90 €.

7 femmes + 1, libres et folles


7 folles. Sept allumées pour qui écrire est toute la vie. » Et qui le paieront souvent cher, très cher. Elles furent montrées du doigt, blâmées, excommuniées pour avoir été en avance sur le temps (par leurs écrits ou par leurs mœurs) ou pour avoir dérangé l’ordre établi. Et le silence autour de leur travail les fit souffrir au-delà du raisonnable (elles ne savaient pas ce que c’était que d’être raisonnable), trois d’entre elles (Virginia Woolf, Sylvia Plath, Marina Tsvetaeva) finissant par se donner la mort.
Ces sept-là, les trois déjà nommées auxquelles on ajoutera Emily Brönte, Colette, Djuna Barnes et Ingeborg Bachmann, ont, par leur exigence, par leur intransigeance, par leur soif de liberté, par leur malheur souvent, fait le bonheur de Lydie Salvayre, qui leur rend hommage dans  ce « 7 femmes », peut-être le meilleur livre de l’auteur.
Lydie Salvayre
Lydie Salvayre traversait une période sombre, le goût d’écrire l’avait quittée. Elle lut et relut les livres de ces femmes. Puis, nouveauté pour elle, elle se plongea dans les biographies, les lettres, les journaux intimes de ces héroïnes. Pour y découvrir tant de détails attachants, bouleversants. D’une plume enthousiaste et émue, parfois comme foudroyée, elle dit « le surcroît de vie qu’elle ne cessaient depuis longtemps de m’insuffler. » On suit une Emily Brönte (« plus forte qu’un homme, plus simple qu’un enfant, sa nature était unique », disait d’elle sa sœur Charlotte) se cautérisant au fer rouge une profonde morsure de chien, sans lâcher la moindre plainte ; une Sylvia Plath oscillant toute sa vie « entre une allégresse qu’elle semble surjouer comme pour s’en convaincre et un désespoir mortifère qui la terrasse des jours entiers » ; une Colette qui refuse d’aller passer une semaine chez sa fille, que pourtant elle adore, parce que son « cactus rose va probablement fleurir. »
Colette qui signa « Willy » (le surnom de son amant) la série des « Claudine » car une femme romancière, ça ne se faisait pas en cette fin de XIXème siècle. Voilà un point commun – il y en a d’autres – entre Colette et George Sand, la huitième « folle » du jour à qui Martine Reid consacre une biographie. George Sand, de son vrai nom Aurore Dupin, encore trop souvent réduite à quelques romans « champêtres », et dont pourtant l’œuvre est considérable. À ses obsèques, Victor Hugo dit d’elle qu’elle fut « la grande femme » de son époque. Mais que son combat pour se faire accepter fut difficile ! Léon Daudet la qualifiait d’ « erreur de la nature », tandis que Maupassant trouvait qu’elle conservait « un côté pot-au-feu très marqué. » Au mieux, on trouvait que son génie la transformait en monstre : « un homme sorti du rôle de femme » disait Balzac.
Martine Reid raconte cette lutte d’émancipation, cette vie insensée aussi, entre l’éducation bien bancale de ses enfants, l’accumulation d’amours passionnées (dont celles avec Musset et Chopin sont les plus célèbres), les engagements politiques, et cette soif d’écrire, malgré les obstacles, les souffrances, le tumulte de l’existence. Le « vivrécrire » comme le disait Marina Tsvetaeva.
LIRE « 7 femmes », Lydie Salvayre, éd. Perrin, 240 p., 18 €.
« George Sand », Martine Reid, collection folio biographies, 384 p., 9,10 €.