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vendredi 27 juin 2014

Ça râlait sec chez les préhistoriques !



Ils s’appellent Brandon (quel macho, celui-là), Papy King, Blanche, Poupette, le Ténébreux, Rose, d’autres encore.  En fait ils ne portent pas vraiment ces noms-là, à l’époque où ils vivaient on ne portait pas de nom. Ils ont été baptisés par l’une d’entre eux, La Grande, qui tient son journal intime et parle pour tous les membres de cette improbable tribu. Nous tenons entre les mains le récit plus vrai que nature, et pourtant totalement réinventé, d’une Néandertalienne embarquée avec sa communauté dans une survie sur le fil, une vie de coups et de bosses racontée sur un mode jubilatoire.
Un voyage dans le temps, donc. L’homme de Néandertal aurait vécu entre 250 000 et 28 000 avant notre ère. Ici, nous sommes vers la fin de cette époque, vers 43 000-45 000 avant notre présent, au moment d’un événement fondamental : la rencontre de ces Néandertaliens, qui se croyaient seuls au monde, avec l’homme de Cro-Magnon, ces « Sapiens », plus grands, plus « humains », et qui débarquent en Europe en provenance de leur Proche-Orient d’origine après avoir bourlingué pendant quelques milliers d’années.
La Grande, comme toute sa bande d’ailleurs, n’y comprend pas grand-chose, à ces « Zigues », comme elle les appelle. Ça la chamboule dans ses habitudes, les rituels de cette communauté de chasseurs-cueilleurs nomades. On change de grotte de temps à autre, on porte des peaux de bison, on se coiffe entre copines, on se nettoie les ongles (voir l’extrait ci-dessous), on mange parfois les autres, on taille des silex, on ramasse des tas de plantes, notamment des baies d’airelles avec laquelle on fait une boisson qui saoule tout le monde. On fait de l’art sans s’en rendre compte. Et même si tout le monde est un peu « multitâche », les femmes s’occupent du ménage de la grotte, et ça fait râler La Grande.
Marylène Patou-Mathis et Pascale Leroy ©Astrid di Crollalanza
C’est d’ailleurs une première : jamais un récit préhistorique n’avait mis la femme à l’honneur. Et quelle femme ! La lire, c’est l’adopter ! Bravo aux auteurs, la romancière Pascale Leroy (ses formules sont un bonheur) et la Docteur en préhistoire Marylène Patou-Mathis (qui garantit la rigueur scientifique). On apprend que ces Néandertaliens, qu’on a tant dépeint comme frustes, étaient composés de groupes étonnamment modernes, plutôt baba-cools. Pas vraiment une famille, au sens classique du terme, mais une meute où tout le monde allait avec tout le monde, un monde sans propriété, un monde de partage, quelque chose qui est propre encore aujourd’hui à une vie collective en perpétuelle migration.
Enfin, ce livre aussi réjouissant qu’instructif  - parfait livre d’été, donc - nous rappelle que nous ne sommes pas l’aboutissement, mais une étape… qui aurait tort de mépriser les autres échelons de l’évolution. Et l’autre, en général.
LIRE « Madame de Néandertal, journal intime », Pascale Leroy, Marylène Patou-Mathis, NiL éditions, 266 p., 19 €.
Autre roman écrit à quatre mains entre un paléontologue et une romancière, « Tahül et les pierres de foudre » de Henriette Chardak et Henry de Lumley (éd. de l’Archipel, 400 p., 21 €), raconte la survie près de la grotte de Tautavel, dans les Pyrénées, il y a 450 000 ans d’une force de la nature (Tahül) et un « petit prince » préhistorique, Ékorss.

Les coups de coeur de Sabine Hartmann



Voltaire génial philosophe, négociant infatigable, vient de faire publier en Belgique ses « Lettres philosophiques ». Mais Voltaire est aussi un gastronome et, par ses achats judicieux, fait affaire avec le coton, les nombreuses épices et le café, une de ses gourmandises. Chez lui, il n’est question que de bonne cuisine pour de saines réflexions. Avec parfois des plats plus indigestes, qu’il subit parfois pour tenter d’atteindre un poste d’académicien. Entouré de l’exquise Emilie, marquise du Châtelet, qui fait preuve d’une redoutable perspicacité, et de l’abbé Linant, gourmand invétéré, Voltaire va affronter bien des machinations.
Au milieu de stratégies gustatives, d’alliances, de trahisons, nous allons croiser Richelieu, les familles de Guise et de Condé. Mais à cause de ses écrits, Voltaire doit encore fuir. Les festins de roi se sont déplacés sur les champs de bataille. Un livre truculent !
LIRE « Crimes et condiments », Frédéric Lenormand, éd JC Lattès, 336 p., 17 €.



Vuong Duy Binh est né au Vietnam en 1968, alors que la guerre faisait rage. La fuite de son père Hoa dans le maquis des Viêt-Cong alors qu’il n’a qu’un mois, laisse sa mère Phuong seule. Pour retrouver son mari, Phuong entre en résistance et transporte des marchandises pour les réseaux clandestins. Elle décide de traverser la jungle avec son bébé pour le rejoindre. Les premiers contacts de Vuong Duy Binh avec son père ne sont qu’autorité, elle n’aura jamais d’affinités avec lui. Lui, c’est avec son grand-père chinois qu’il s’entend bien. Il lui permettait de rester auprès de lui dans sa boutique. Il lui apprenait la langue et les rites de son pays d’origine.
Mais Phuong se fait arrêter avec son fils. Ensemble, ils découvrent les geôles. Sa mère résiste aux tortures et c’est le grand-père qui paie la caution. Pendant ce temps, Hoa monte en grade avec ses trafics. Début 1975 tout s’accélère, les communistes installent leur pouvoir avec leurs milices. Hoa prend une maîtresse et joue tout l’argent du ménage. Les boat-people s’organisent. Finalement, seul Vuong Duy Binh embarquera pour un voyage périlleux. Il échoue en Malaisie avant, après une visite de la Croix-Rouge, d’opter pour la France.
Le 4 octobre 1979, à 11 ans, il atterrit à Paris. Il apprend vite et intègre un foyer en banlieue parisienne. Dès l’année suivante, il travaille le dimanche pour envoyer de l’argent et des médicaments à sa mère. Pour lui « chaque jour est un jour neuf et différent ». Il passe son bac et choisit d’être pharmacien dans l’industrie. Des nouvelles de sa famille l’informent qu’Hoa ne se sort pas de ses dettes et mène toujours une double vie. Vuong Duy Binh se démène pour faire venir sa famille en France. Ils débarquent sur notre sol en 1991. Une belle leçon de vie et un formidable témoignage sur cette période mouvementée de l’Histoire contemporaine.
LIRE « Loin des yeux de ma mère », Vuong Duy Binh, éd. First, 236 p., 17,95 €. 


Les filières alimentaires internationales sont décortiquées par le cabinet de conseil TracFood, dont le fondateur, Camille Dupreux, un ancien de la Royale, est associé à Marco, un jeune ingénieur rigoureux. Leur travail consiste à donner une labellisation aux industriels. Camille, qui enquêtait sur une société ukrainienne qui importe poulets et poissons en France, disparait sans laisser de trace. Des documents déposés par Léna, une jeune prostituée ukrainienne, recèlent des indications troublantes sur une filière chinoise d’importation peu ragoutante via Odessa. Il n’est question que de coût et de marge bénéficiaire et tout le monde ferme les yeux pour obtenir gros volumes et petits prix. Le cruel Zarov, parrain mafieux ukrainien, dirige ses opérations entre Chine, Ukraine et France, mais quels sont ses liens avec Turenne, le commanditaire principal de la société TracFood ? Quels secrets va découvrir Marco ?
LIRE « Les fauves d’Odessa », Charles Haquet, éd. du Masque, 282 p., 6,90 €.


vendredi 20 juin 2014

Les coups de coeur de Thierry Boillot



Au royaume des dingues, les paumés sont rois. Ou inversement… Sorti « guéri » de l’enfer des prisons, Cigano, gitan au passé sulfureux, croise Narcisa, princesse défoncée au crack. Ces Roméo et Juliette des favelas, se déchirent entre désir de mort et instinct de survie. Leur folle passion amoureuse rime avec addictions et autodestruction. Avec un Brésil sans football ni samba joyeuse en toile de fond, Jonathan Shaw, fils du jazzman Artie Shaw, nous plonge dans un thriller psychologique en forme de spirale infernale. Sexe, violence, drogue, magie noire… L’état des lieux est saisissant. Le style est haletant, sec, immédiat (Bukowski, sors de ces pages !). Au moment où l’éditeur 13e Note annonce sa mise en standby, il est urgent d’empoigner ce pavé digne d’une littérature américaine indépendante et révoltée. Iggy Pop, Johnny Depp et Jim Jarmush figurent dans le premier cercle des fans de Shaw. Il y a pire comme compagnie.
LIRE « Narcisa », Jonathan Shaw, 13e Note éditions, 464 p., 23,90 €.



On n’a franchement pas très envie de vivre dans le monde que nous révèle Kent Harrington au fil de ce roman noir, où les codes du genre sont respectés à la lettre. L’affaire se passe sur une île paradisiaque des Caraïbes. Seulement voilà : la disparition d’une jeune fille délurée, mais de bonne famille (un clone de Paris Hilton ?), fait la une de la presse mondiale. Et le tsunami médiatique va déferler. Comment préserver la réputation de l’île, de ses notables, sans nuire à la « discrétion » de la mafia locale ? Comment faire mousser l’info, acheter de faux témoins, de faux suspects, nourrir le scandale pour mieux rassasier « la bête » ? En l’occurrence : les foules avides d’histoires hautes en sensations fortes… Les politiques vont s’en mêler. Tout comme les Américains. Tout ira tellement vite qu’à la fin, coupables, traitres et victimes finiront dans le même sac. Et dire que ce monde-là, c’est le nôtre…
LIRE « Tabloïd Circus », Kent Harrington, éd. Denoël, 414 p., 21,90 €.