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vendredi 18 avril 2014

Les vrais paradis sont les paradis perdus



François Jonquet

C’est un grand classique : Thomas, un jeune fils de bonne famille monte à Paris… et ne se reconnaît pas dans le costume qu’on voudrait qu’il endosse. Au foyer où il habite, « la transpiration de générations de jeunes bourgeois galvanisés par la reproduction du modèle paternel, les hormones de cette passion stérile qui était leur sérum vital, leur vraie jouissance sur terre, avaient fini par imbiber les murs. » Et ça l’écœure. Lui, il se découvre littéralement aimanté par la nuit, les folles nuits des années 80, puisque « Les vrais paradis », le nouveau roman aux accents autobiographiques de François Jonquet se déroule en trois volets, de 1979 à 1984. La nuit parisienne, et principalement celle qui se donne, ô si péniblement, les jours où le cerbère de l’entrée vous permet d’accéder au nirvana, à La Porte Rouge, la boîte branchée entre toutes, le temple des plaisirs et de la décadence, là où le Tout-Paris se presse, on aura évidemment reconnu Le Palace, le lieu mythique de ces années-là.
On retrouve ici les personnages de « Jenny Bel’Air », la merveilleuse biographie que François Jonquet consacra en 2006 à Jenny, créature unique de cette époque, sculpturale et impériale, qui fut justement l’une des figures légendaires du lieu. Depuis ses premiers pas dans l’antre adulé (voir l’extrait ci-dessous), Thomas arpente inlassablement les couloirs, les balcons, les toilettes et bien évidemment le dance-floor de cet ancien théâtre, les cinq sens en ébullition, sexe, drogue, vertige des corps. C’est là qu’il a le sentiment d’apprendre la vie, c’est là qu’il se sent, même bousculé, même avec parfois un goût de cendres dans la bouche, à sa place. Et, le jour, arpenter les rues de Paris n’est pas mal non plus. Jusqu’à ce jour de 1984 où la Porte Rouge est repeinte en gris. Comme si la vie elle-même perdait de ses couleurs. Comme un « hiver de l’amour ».
Yves Pagès
Yves Pagès s’est également donné pour mission de recoller les morceaux d’une mémoire qui flanche. « L’oubli, c’est un bruit de fond familier, le mien » reconnaît-il. En un clin d’œil au « Je me souviens » de Georges Perec, il compile ses « De ne pas oublier », recueil de ces « petits riens bordés de rose », comme disait sa grand-mère « à propos du diable qui gît dans les détails. » Alors, ces « détails » datent de sept, quinze, trente ans, et remontent à la surface. L’auteur nous rappelle, parmi tant d’autres scènes insolites ou réflexions décalées, les « entourloupes conceptuelles » des publicitaires : du « stress positif » au « développement durable » en passant par « ingérence humanitaire ». Ou ce jour où « un jeune bateleur étendu à même une litière de tessons de bouteille » lui avait demandé de grimper sur son torse nu et d’y rester debout plus d’une minute trente. Échos lointains ou proches, dans le passé ou l’espace, tout est ramené à la même distance : la cristallisation d’une émotion. Ce pourrait n’être qu’un puzzle un peu vain, un autoportrait à usage unique. Il n’en est rien : sous le divertissement, Yves Pagès assemble sous nos yeux une conscience morale et universelle. C’est futé, et drôlement utile par les temps qui courent.
LIRE « Les vrais paradis », François Jonquet, Sabine Wespieser éditeur, 256 p., 20 €.
« Souviens-moi », Yves Pagès, éd. de l’Olivier, 112 p., 14 €.

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