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vendredi 4 avril 2014

Les disparus ne devraient pas revenir


Mercedes Deambrosis

Chez Mercedes Deambrosis, ça se passe en Espagne, en périphérie d’une petite ville, entre la campagne et le centre commercial. Là où tout change (ça construit de partout) et rien ne change (les mentalités). Un soir d’avril, il y a si longtemps, une adolescente, Tecla Osorio, a disparu. La police n’avait rien trouvé, avait-elle vraiment cherché, après tout le père Osorio est un ancien « rouge » et on n’en pas fini ici de régler ses comptes avec la guerre civile d’antan. On avait vu Tecla à un arrêt d’autobus, et puis plus rien, évaporée. Et c’est là, au même arrêt, mais onze plus tard, qu’Aparicio Ramirez va avoir le choc de sa vie : il a reconnu Tecla. Elle a changé, bien sûr. L’adolescente est devenue femme. Mais c’est elle. Il rentre chez lui, hésite à prévenir les autorités, la famille. Puis décroche son téléphone.
On se dit, évidemment, que tout le monde va sauter de joie en apprenant la nouvelle. Pas sûr. Ce retour dérange : on a essayé d’oublier, la douleur s’est effacée, on a repris des habitudes, on a reconstruit le passé, et le retour de Tecla fait remonter à la surface la vérité des jours sur lesquels s’était accumulé la poussière du mensonge. Et d’ailleurs, pourquoi est-elle revenue, Tecla ? Qu’est-ce qu’elle nous veut ? Mercedes Deambrosis claque au vitriol le portrait d’un village ancestral à l’heure du village global, le portrait d’une Espagne écartelée entre la tradition (et ses haines recuites) et la modernité (et son clinquant sans mémoire). On a beau s’acheter des lave-vaisselles et des télévisions, l’homme reste un loup pour l’homme…
Hélène Gaudy a choisi une autre petite ville, mais dans le Nord des États-Unis, Lisbon. Là, c’est un garçon de quatorze ans qui a disparu. David Horn. On l’adorait, David. Il avait la grâce d’un ange et le charisme d’un caïd. Avec Sam et Prudence, ils formaient un trio inséparable, follement romantique, qui avait fait alliance avec Jude et Tom, les étranges jumeaux de la rivière. Et David était le fils unique, choyé, comblé de Caroline et d’Henry.
Hélène Gaudy
Quatre ans plus tard, c’est un jeune homme à peine vêtu dans ce pays du froid que recueille la police. On a peine à croire à ce retour : cette ville « quand on la quitte, on n’y retourne pas. David revenu à Lisbon, c’est bien la première fois. » On ne sait pas trop quoi faire de ce corps malingre, changé, là aussi on s’est refermé sur le malheur. Les parents se sont séparés. Ça rend dingue, cette réapparition. On cherche à comprendre, dans un grand désordre : « On parle d’extra-terrestres, de réincarnation, on parle d’imposteur, on imagine le pire. » En même temps, « au cœur de cet hiver-là, la rumeur qui vient est un cadeau de Noël en avance, la seule chose qui peut fouetter le sang » des habitants.
Ce cadeau du ciel, ce sont aussi des blessures qui se rouvrent. Dans le silence, les questions sans réponse. Peut-on vraiment reconnaître ceux qui nous ont quittés ? Au-delà du mystère qui entoure la réapparition de David, Hélène Gaudy compose un magnifique roman sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Quand le manque se fait rite d’initiation.
LIRE « L’étrange apparition de Tecla Osorio », Mercedes Deambrosis, éd. des Busclats, 204 p., 15 €.
« Plein hiver », Hélène Gaudy, éd. Actes sud, 208 p., 20 €.

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