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vendredi 25 avril 2014

On vit encore, mais plus comme avant


Jean-Noël Pancrazi

Mady s’est fait attraper. Prudent, il l’était, pourtant, constamment sur le qui-vive. Ça n’a pas suffi. Un contrôle, il n’a pas de papiers, il est embarqué direction l’aéroport de Roissy et sa sinistre Zapi, la « zone d’attente pour personnes en instance ». Dans quelques heures, on va le jeter dans un avion, il va revenir chez lui sans l’avoir voulu, avec par-dessus tout la honte de rentrer sans rien. D’avoir échoué.
Jean-Noël Pancrazi, le merveilleux romancier qu’est Jean-Noël Pancrazi, illumine une nouvelle fois le destin des oubliés, lui qui ne peut s’empêcher de s’approcher de la misère du monde, de la prendre à bras-le-corps, de se le reprocher ensuite, et de recommencer. Car il aime Mady, comme il en a aimé d’autres dans ses livres précédents, et dans sa vie évidemment, Mady qui posait sa valise chez lui, qui se reposait chez lui des tourments d’une existence de sans-papiers, Mady qui vivait une passion inconsidérée pour Mariama, Mady et Diam’s, son enfant, Mady et ses congénères au foyer près du Père-Lachaise, un homme « indétectable » - c’est le titre du roman – puisque, à la fois, cet homme se faisait transparent pour éviter les ennuis et nous, les passants dans la ville, ne voyions plus ces êtres condamnés à l’ombre. Dans une langue somptueuse, littéralement liquide, source, rivière, fleuve, delta, l’auteur célèbre, sans jamais se donner le beau rôle, ces exilés de fortune, qui ne demandent qu’à transmettre ce qu’on leur a appris, au village : qu’«il suffisait d’un atome de bien qu’on faisait, qu’on lançait, et tout le bien revenait vers vous par le ciel. »
Au passage, Jean-Noël Pancrazi se souvient que, lui aussi, fait partie d’une dynastie d’exilés : son père avait dû quitter l’Algérie, « ce pays qu’il ne retrouverait jamais », ce père « qui était, qui restait algérien. » 
Anne Plantagenet
Pour Anne Plantagenet, c’est la même chose. Fille, petite-fille, arrière-petite-fille de pieds-noirs, elle a toujours su qu’un jour il faudrait qu’elle aille en Algérie. Un pays qu’elle n’a pas connu, mais où sont ses racines. Et celles de son père. Le 25 septembre 2005, elle s’est envolée avec lui pour « Trois jours à Oran ». Pour retrouver un appartement, une lumière, des visages, des odeurs. Et surtout la ferme familiale de Misserghin, non loin de la ville. Elle n’a aucune idée de ce qu’ils vont trouver là-bas, elle ne sait même pas si elle a eu raison de plonger dans cette galère. L’Algérie, ce n’est pas son histoire : « pourtant, ça me regarde, je n’ai pas de doute là-dessus. » Aller là-bas, c’est un risque à prendre. C’est peut-être aussi remettre droit sa vie bancale, depuis qu’elle a quitté un mari aimant, parfait, pour une passion insensée, dont elle semble ne pas se remettre. C’est ne guérir de rien, mais parcourir un chemin qui « me délivre enfin de la honte des origines et me redonne l’orgueil de celles-ci. » Elle découvre qu’en partant, on laisse toujours quelque chose. On a l’impression de vivre encore, mais plus comme avant. Mais aussi qu’il reste tant à transmettre. Un récit farouche et mélancolique.
LIRE « Indétectable », Jean-Noël Pancrazi, éditions Gallimard, 140 p., 13,90 €.
« Trois jours à Oran », Anne Plantagenet, éditions Stock, 176 p., 17 €.

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