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vendredi 8 novembre 2013

Trois façons de raconter la vie



Tant de noirceur, dans son trait et dans ses mots, et, paradoxalement, on n’en finit pas d’être ébloui par Frédéric Pajak. L’an passé, son « Manifeste incertain » donnait le la : les états d’âme d’un solitaire « contre l’air du temps et le temps qui passe. » En voici la suite, toujours dans les pas de Walter Benjamin, ce philosophe « rêveur abîmé dans le paysage », comme un frère d’errance de Frédéric Pajak à qui cette définition va comme un gant.
Nous marchons avec Walter Benjamin dans les rues de Paris. En 1913 d’abord, une première visite de deux semaines, puis surtout à partir de 1926 quand Paris devient sa nouvelle patrie : d’abord dans l’insouciance et le sérieux, puis dans l’inquiétude face à la montée du nazisme. Benjamin est juif. Il va follement aimer Paris, qui ne le lui rendra pas. Il y restera seul, miséreux, incompris. Le 9 mars 1938, il sollicitera du ministre de la Justice l’obtention de la nationalité française. « La justice ne lui répondra pas. » Il se suicidera en septembre 1940.
Bien sûr, d’autres figures traversent le Paris de 1926 de Frédéric Pajak. Celles entre autres de l’écrivain suisse Ludwig Hohl, qui découvre la capitale rue après rue, méthodiquement, et s’enivre dans les cafés, ou d’André Breton qui, lassé de sa femme et renvoyé par sa maîtresse, fond pour Nadja, qui devient sa muse, son héroïne. Mais, plus que tout, ce « Manifeste incertain », choisissant le dialogue entre le texte et le dessin, raconte l’envers du décor du Paris d’hier comme du Paris d’aujourd’hui, de la société d’avant-guerre comme de la société de notre XXIème siècle « globalisé » : « Paris a usé mille et mille têtes d’autant de joie, d’autant de peine ».
Pour raconter la vie, Marie Richeux a également choisi une voie originale : ses « Polaroïds », des textes qui entendent faire naître progressivement une image, comme se révèle la photographie sur un Polaroïd. Ces textes, Marie Richeux les écrit pour son émission quotidienne pour France Culture, et vient d’en publier une sélection. Autant de miniatures d’une rare finesse, obtenues grâce à un outil unique : un microscope à sensations. Le moindre tremblement de l’humain est saisi, approché, humé, disséqué, par l’auteur. C’est un peu foldingue, toujours inattendu, parfois militant : les « larmes noires » ou les « rais de lumière » de nos existences, comme l’écrit joliment Georges Didi-Huberman dans sa préface.
Enfin, le graphiste chinois Xu Bing propose carrément dans « Une histoire sans mots » un nouveau langage, celui de ses pictogrammes, pour raconter 24 heures de la vie d’un cadre. Heure par heure, la journée de M. Noir. Son réveil, le petit déjeuner, le métro, le bureau, les emails, les collègues, les soucis, les rêves, une rencontre sur Internet… On galère au démarrage pour comprendre et lier entre eux les pictogrammes. Et puis, comme pour une autre langue, quand on est familiarisé, on se divertit de la syntaxe, du style, des trouvailles d’une histoire bien plus profonde qu’un simple divertissement.
LIRE « Manifeste incertain, tome 2 », Frédéric Pajak, éditions Noir sur blanc, 224 p., 23 €.
« Polaroïds », Marie Richeux, Sabine Wespieser éditeur, 160 p., 17 €.
« Une histoire sans mots », Xu Bing, éditions Grasset, 128 p., 9,90 €.

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