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vendredi 29 novembre 2013

Le géant vide et les graines de courge



Une naissance, des chemins possibles, des hasards, des rencontres, des choix, des erreurs, une légende. Une vie. Philippe Jaenada, avec son talent inimitable pour mêler le rire aux larmes, l’accessoire à l’essentiel, cette signature unique dans le paysage littéraire français, ose un pas de côté après nous avoir tant régalé des rebondissements tragi-comiques de sa propre existence. Il ose affronter la trajectoire de Bruno Sulak. « Bruno Sulak, le légionnaire modèle, le magicien, le gangster en tenue de tennis, l’homme qui a volé la panthère, Bruno Sulak l’éternel évadé ». Bruno Sulak né à Sidi-bel-Abbès en 1955, mort en 1985, tombé d’une fenêtre de Fleury-Mérogis lors d’une tentative d’évasion (a-t-il été poussé dans le vide ?). Il n’avait pas trente ans. Entre les deux, le parcours d’une comète, d’une étoile filante, d’un feu follet… au royaume des braqueurs. Dans la catégorie rare, et reine, des gentlemen cambrioleurs.
Philippe Jaenada
Une vie guidée par une phrase du grand-père, venu de Pologne en France en 1900, qui disait : « Regarde devant, ce qu’il te reste à faire, ne regarde jamais derrière. » Une vie portée par le charisme hérité de Stanislas, son père : dès l’adolescence, Bruno « impose le respect par nature, on l’écoute parce qu’il parle, on l’estime parce qu’il a l’air de savoir de quoi il parle, et on le suit parce qu’on l’estime. » Bref, pour faire entendre le genre de formule dont Philippe Jaenada  a le secret : « Dans le petit chaos des trottoirs, il est rassurant d’emboîter le pas [à Bruno]. »
De fait, dès ses quinze ans, Bruno Sulak est entouré d’une petite bande. Il sera toujours (ou presque) entouré. Il endossera le rôle de meneur, ne dénoncera jamais ses complices même quand il aurait pu partager. Après ses potes de Marseille (et un stupide vol de mobylette qui aura une malheureuse conséquence), sa meute suivante sera la Légion. Il désertera, et ce sera le début de la cavale, les premiers braquages, des supermarchés, plus tard des bijouteries. Là aussi accompagné de ses fidèles, son complices serbes Drago et Steve – le garde du corps de Jean-Paul Belmondo - ou la belle Thalie, jeune fille de bonne famille en rupture de ban. La signature de ses hold-up ? Une Simca 1000 (voir l’extrait ci-dessous). Son plus incroyable fait d’armes ? Cambrioler un joaillier parisien dans un quartier truffé de policiers lors d’une visite officielle d’Helmut Kohl. Et davantage qu’une coquetterie : un revolver uniquement chargé de balles à blanc.
Alors, Sulak, voyou sympathique ? Ce Sulak pétri de talents : hockeyeur, marathonien, prestidigitateur, pilote d’hélicoptère, etc. Ce Sulak lisant les plus grands auteurs dans sa cellule. Ce Sulak, incarnation de la folie, de « l’innocence » des années 70 et 80, dont « Sulak », le livre, est en creux un formidable portrait. Philippe Jaenada ne verserait-t-il pas dans l’apologie d’un hors-la-loi ? Indéniablement. Il y a là une infinie tendresse de l’ours (Jaenada) pour le fauve (Sulak). Comme une infinie tristesse aussi, face au destin de celui qui n’aura finalement jamais trouvé sa place : « Comme un géant vide à qui on ne proposerait que des graines de courge. »
LIRE « Sulak », Philippe Jaenada, éditions Julliard, 494 p., 22 €.

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