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vendredi 24 janvier 2014

On vit encore, mais pas comme avant



De quoi parle-t-il au juste ? Pourquoi Julian Barnes nous raconte-t-il la vie de Félix Tournachon, alias Nadar, 1820-1910,  qui fut le premier à réaliser des clichés photographiques depuis un ballon, et qui, ça n’a rien à voir, fut « le genre de mari dont les infidélités coexistaient avec une extrême dévotion à sa femme » ? Pourquoi, dans un second temps, nous relate-t-il l’idylle aussi charmante qu’extravagante entre la comédienne Sarah Bernhardt, 1844-1923, qui aimait à s’envoyer en l’air en ballon de temps à autre, et le colonel Fred Burnaby, un officier britannique, droit dans ses bottes et romantique en diable ?
Julian Barnes
Et puis, soudain, tout fait sens. Julian Barnes nous parlait jusque-là d’élévation, élévation dans l’espace (les ballons), élévation des cœurs (l’amour) pour contenir, endiguer, canaliser le chagrin qui le pétrifie depuis la disparition de son épouse. Page 78 : « Nous avons vécu ensemble pendant trente ans. J’en avais trente-deux quand nous nous sommes rencontrés, soixante-deux quand elle est morte. Le cœur de ma vie ; la vie de mon cœur. » Julian Barnes songeait tranquillement au reste de leur vie ensemble. « Au lieu de tout cela, d’un été à l’automne, ce fut l’inquiétude, l’anxiété, la peur, la terreur. Trente-sept jours entre le diagnostic et la mort. »
Depuis, il essaie de tenir debout, entre les conseils plus ou moins avisés des amis et le ressentiment face aux « gens dans les bus qui rentrent simplement chez eux après leur journée de travail. » Il apprend, paradoxalement, à chérir la souffrance : « La douleur montre qu’on n’a pas oublié ; la douleur relève le goût du souvenir ; la douleur est une preuve d’amour. » Mais il y a tant de pièges et de dangers dans le deuil (« Apitoiement sur soi, tendance à l’isolement, mépris du monde, sentiment égotiste que son malheur est exceptionnel ») qu’il lui est devenu vital de s’ouvrir à ceux qui ont cherché, tant bien que mal, plus ou moins maladroitement, à s’élever, par les sentiments, par les sensations, par la technologie, par la création. L’art de rebondir après être « tombé de la plus grande hauteur. »
Fabio Viscogliosi
Si Julian Barnes fait dans la verticalité, Fabio Viscogliosi choisit l’horizontalité pour se reconstruire. Il a perdu ses parents dans un accident sous le tunnel du Mont-Blanc, c’est par la route que son chemin de croix (du deuil) s’est fait chemin de choix (la joie retrouvée). Choisir de vivre, choisir d’avancer, choisir d’ouvrir les yeux et de dévorer le monde en père peinard. Il nous livre une sorte d’anti-guide de voyage, libéré des conseils paresseux, associant la flânerie à la rêverie et à une douce ironie : « Avancer au gré des découvertes qui se présentent à nous, par hasard, de la même manière que l’on pousse un caillou ou que l’on ramasse un vieux ticket de cinéma sur le bord d’un trottoir », ces « petits bouts de choses égarés dans le paysage […] qui n’ont de valeur que l’attention qu’on leur prête, et cette attention  varie, en fonction de notre humeur, de la météo, et tout simplement de l’énergie qui circule modestement dans nos veines. » Une philosophie de la « pente naturelle » en 110 fragments. Un bonheur.
LIRE « Quand tout est déjà arrivé », Julian Barnes, éd. Mercure de France, 130 p., 15,50 €.
« Apologie du slow, Fabio Viscogliosi, éd. Stock, 272 p., 19 €.

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