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vendredi 17 octobre 2014

Reconnaître un individu dangereux



« L’humanité est dans le pétrin. » Ce n’est pas moi qui le dit, mais Carlo Maria Cipolla. C’est même la première phrase de ses « Lois fondamentales de la stupidité humaine », rééditées aujourd’hui avec de fabuleuses illustrations de Claude Ponti. Mais un mot d’abord sur l’aventure de ce livre-culte. En 1976, Carlo M. Cipolla, un célèbre historien italien qui enseigne alors à Berkeley, en Californie, décide, pour s’amuser, d’écrire ce petit opuscule, et de l’offrir à ses amis. On se le prête, le bouche-à-oreille fait (lentement) son chemin. En 1988, Cipolla accepte enfin que le livret soit traduit en italien. Puis bientôt dans le monde entier, avec un énorme succès. La France le découvre en 2012, avant cette nouvelle édition illustrée par Claude Ponti, orchestration en quatorze dessins des figures du crétin, à la fois drôles et pathétiques.
Car ces lois, pour universelles qu’elles soient, appartiennent évidemment au genre « pseudo-scientifique ». Une dose de bon sens, une dose de rhétorique emberlificotée, et un bon éclat de rire à chaque page. Un guide « visant à détecter, à connaître et peut-être à neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l’humanité » : les gens stupides. En cinq lois fondamentales et quelques intermèdes techniques, Cipolla va nous expliquer que « l’humanité se divise en quatre catégories : les crétins, les gens intelligents, les bandits et les être stupides », tout en démontrant la puissance de la stupidité et donc notre incapacité à lutter. Jubilatoire mais désespérant.
« Mademoiselle », l’héroïne du « Triangle d’hiver », le nouveau roman de Julia Deck est-elle stupide ? Parfois, oui (et donc dangereuse). Parfois, non. Parfois elle se révèle stratège, manipulatrice, enjôleuse… ou, plus prosaïquement, Marie-couche-toi-là pour obtenir sur le champ ce dont elle a envie (et donc dangereuse aussi). Les contraintes de l’existence l’épuisent : travailler, gagner sa croûte, patienter, construire. Elle voudrait larguer les amarres, comme ces paquebots qu’elle observe depuis son appartement au Havre.
On la retrouve à Saint-Nazaire, car on ne peut rester longtemps dans la même ville quand on vit de menues escroqueries. Là, elle rencontre un ingénieur, l’Inspecteur (qui inspecte les navires avant leur mise à l’eau). Elle lui dit s’appeler Bérénice Beaurivage (en fait, le nom du personnage d’Arielle Dombasle dans le film « Pauline à la plage » d’Éric Rohmer), s’autoproclame écrivain. L’Inspecteur a beau être calé en bateaux, il est truffe en amour et en littérature, il gobe tout. C’est sans compte sur Blandine Lenoir, une journaliste également éprise de l’ingénieur, et qui voit clair dans le jeu opaque de sa rivale. Triangle amoureux, triangle pervers, où chacun à son tour est le dupe de l’autre, on danse en rond, Julia Deck mène le bal, en virtuose des sentiments égarés. Car Mademoiselle, pour cynique et acrobate qu’elle soit, est d’abord une enfant perdue. Un personnage qu’on n’est pas prêt d’oublier.
LIRE « Les lois fondamentales de la stupidité humaine », Carlo M. Cipolla, illustré par Claude Ponti, Puf éditions, 96 p., 16 €.
« Le triangle d’hiver », Julia Deck, éditions de Minuit, 176 p., 14 €.

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