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vendredi 6 juin 2014

Russie : des existences d’humiliations et d’espoirs



Quoi de plus approprié qu’un chien pour décrire la vie de… chien des êtres projetés dans l’univers du goulag stalinien ? Celle des déportés, évidemment, mais également des gardiens des camps, sans oublier celle des habitants des communes voisines, une existence sans tendresse, où les brimades et la vodka tiennent chaud, entre nature sauvage, politique absurde et terreur permanente.
« Le fidèle Rouslan » - le titre de ce chef-d’œuvre de Gueorgui Vladimov - se tient donc chaque jour au côté de son « maître », l’un des gardiens du camp, pour accomplir au mieux son Service (Rouslan tient beaucoup à la majuscule, sa mission est sacrée). Mais ce matin-là, quelque chose a changé : les prisonniers ont disparu. Tous ! Rouslan a été dressé pour les pourchasser, les traquer, les saigner, mais comment réagir quand l’ordre « Attrape ! » n’est pas donné, quand les portes du camp sont grandes ouvertes ? Pire : Rouslan est même rapidement par être congédié par son maître alors que personne, jamais, ne lui a appris la saveur, l’utilité de la liberté. Après avoir beaucoup erré en ville, il est adopté par un ancien déporté, le Râpé (dont Rouslan reconnaît la peau, voir l’extrait ci-dessous), qui forme un duo brinquebalant avec la mère Stioura. Une nouvelle vie commence, criblée de frustrations et d’espoirs, pour un Rouslan taraudé par cette question : comment vivre libre quand on ne sait qu’obéir et servir ?
Comme le souligne l’écrivain Owen Matthews en préface de la réédition du « Fidèle Rouslan » : si Vladimov est certes mort en 2003, il nous a livré « une terrifiante prophétie de la Russie de Vladimir Poutine, où les années de libéralisation de la période Eltsine sont de plus en plus dénoncées comme infâmes […]. Et Rouslan, serviteur fidèle et inconditionnel de l’autorité, est clairement l’ancêtre des nouveaux membres de la police secrète […] : loyaux jusqu’à l’absurde à leurs maîtres. »
Chasseurs de mammouths photographiés par Evgenia Arbugaeva (Revue 6 MOIS)
Un Vladimir Poutine qui a compris que le contrôle de la population servirait ses intérêts économiques. La remarquable revue 6MOIS montre la formidable bataille qui se joue dans les terres désolées où pullulaient jadis les camps du goulag stalinien. L’Eldorado au-delà du cercle polaire, un milieu hostile (et massacré par les hommes), une tâche titanesque, racontés par le photographe Justin Jin. Le sous-sol du grand Nord russe est particulièrement garni, riche en or, diamant, zinc, plomb, etc. Il recèlerait 30 % des réserves mondiales en gaz naturel. Norilsk, par exemple, une cité minière de l’Arctique construite par les prisonniers du goulag (il y en eut jusqu’à 70 000 dans ce seul camp) et qui produit aujourd’hui un cinquième du nickel mondial, est la ville la plus polluée de Russie. Elena Chernyshova a cherché à comprendre comment l’on pouvait y vivre alors que les nuits durent 24 heures et l’hiver neuf mois. Et puis il y a ce reportage incroyable d’Evgenia Arbugaeva sur les chasseurs de mammouths (voir la photo ci-dessus). Loin de la civilisation et souvent dans l’illégalité, des hommes recherchent dans les terres gelées de la toundra sibérienne des trésors d’ivoire emprisonnés depuis des milliers d’années. Sidérant !
LIRE « Le fidèle Rouslan », Gueorgui Vladimov, éd. Belfond, 278 p., 17 €.
« Russie, l’appel du Nord », revue 6MOIS n°7, 306 p., 25,50 €.

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