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vendredi 30 mai 2014

Impossible de dire qu’on ne savait pas


Irmgard Keun
Il était temps qu’on la redécouvre. Irmgard Keun, née à Berlin en 1905, connut pourtant le succès dès son premier roman, en 1931, avec « Gilgi, l’une de nous ». Rebelote l’année suivante avec « La Jeune fille en soie artificielle ». Mais le portrait qu’elle y fait d’une jeune Allemande moderne déplaît aux autorités nazies, qui mettent ses livres sur la liste noire. C’est en exil aux Pays-Bas qu’elle écrira « Après minuit ».

Ce livre est incroyable. Quand on le lit, comme le souligne Éric-Emmanuel Schmitt dans sa préface, « on a plusieurs fois le réflexe de vérifier la date, 1937. » Hitler est encore en marche, le désastre n’a pas encore eu lieu… et pourtant tout est là. Tout est dit. Irmgard Keun nous raconte une journée et une soirée à Francfort, vue par son héroïne inoubliable, Suzon. À 18 ans, celle-ci ne se trouve ni assez belle, ni assez intelligente, elle ne croit qu’à l’amour, se trouve dépassée par la politique, et accumule cependant les notations prises sur le vif, pour peindre une société qui, se croyant plus vivante, plus enthousiaste que jamais, est tombée malade. Elle montre comment le nazisme aura prospéré en flattant « nos instincts les plus bas, la mesquinerie, l’avarice, la cupidité, l’envie, la haine, l’intérêt, le goût de la puissance », comme le rappelle Éric-Emmanuel Schmitt. Tel ce vieux dégoûtant de Schauwecker, l’un des personnages, qui baladait ses mains sur les enfants : menacé d’être poursuivi, « il est devenu antisémite ». Il ne risquait plus rien.
En 1940, après avoir voyagé en Europe, Irmgard Keun, « cette souris qui sifflait pour arrêter une avalanche » comme le dit l’un des protagonistes de « Après minuit », va accomplir l’inconcevable : elle fait publier l’annonce de son suicide et rentre clandestinement en Allemagne ! Oubliée après 1945, entre dépendance à l’alcool et séjours en hôpital psychiatrique, elle meurt en 1982… juste au moment où des féministes font à nouveau entendre la voix de cet immense écrivain.
Timur Vermes
Si Irmgard Keun aura eu le talent terrible de dévoiler le Hitler d’avant la guerre, Timur Vermes verse dans la satire (et on rit beaucoup) en nous menaçant dans son « Il est de retour » d’un come-back du Führer. Et si ? Et si le cauchemar connaissait un (ultime) rebondissement ? Soixante-six ans après sa disparition présumée, Hitler se réveille dans un terrain vague en plein Berlin, sur le lieu même où se trouvait son bunker. Il ne reconnaît (presque) rien, se fâche que les gens rient de son aspect, chavire en découvrant qu’une FEMME dirige le pays. Recueilli par un kiosquier bon prince, il est remarqué par des producteurs télé qui voient dans ce sidérant sosie une prochaine poule aux œufs d’or. Et Adolf s’adapte au monde nouveau (pas précisément ce que lui appelait de ses vœux comme monde nouveau…). La télé sera sa tribune, démultipliant comme jamais son message. Inespéré. Surtout que le bonhomme, par son franc-parler et ses formules bien senties, semble avoir réponse à tout. Ses bobards sont du miel pour les gens qui souffrent en ces temps de crise… Une nouvelle fois, le pays semble prêt…
LIRE « Après minuit », Irmgard Keun, éd. Belfond, 228 p., 17 €.
« Il est de retour », Timur Vermes, éd. Belfond, 416 p., 19,33 €.

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