Rechercher dans ce blog

vendredi 20 décembre 2013

La flamboyante vie de Régine Deforges


Septembre 1981. En plein état de grâce du nouveau pouvoir socialiste, un roman fait fureur, « La Bicyclette bleue » de Régine Deforges. Le roman s’inscrit dans une collection où l’éditeur, Jean-Pierre Ramsay, demande à des écrivains de s’inspirer de chefs-d’œuvre du passé pour écrire un nouveau livre. Il a proposé « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell à Régine Deforges, qui décide de situer l’action de sa très libre adaptation durant la Seconde Guerre mondiale. Quand elle rend le manuscrit, l’éditeur fait la grimace : il avait prévu un seul tome, la romancière lui en annonce trois. Des millions d’exemplaires plus tard, les aventures de Léa et François s’étireront au final sur dix volumes.
Une aventure exceptionnelle qui n’est que l’un des épisodes de l’existence tumultueuse et tourmentée de Régine Deforges. Une femme incroyable qu’on aura humiliée (voir ci-dessous l’affaire du cahier volé), mise à terre… et qui, à chaque fois, aura trouvé les ressources pour se relever. Pour repartir, parfois de zéro. Pour inventer quelque chose de nouveau (on songe à son best-seller sur le point de croix… et que les dirigeants de DMC Mulhouse avaient refusé de soutenir !), au risque de multiplier les échecs et les banqueroutes. Qu’importe : l’important, pour elle, ce sont les rencontres, les voyages, l’ivresse des sens, les passions en tous genres.
Régine Deforges
Une vie de flambeuse flamboyante qui ressemble à un cri lancé à la figure des habitants de Montmorillon, dans le Poitou, où elle est née en 1935, mais qu’on prendrait à tort pour une revanche contre ces gens-là (après tout, elle est revenue à Montmorillon pour y créer un salon et une Cité du livre). Non, c’est un cri de révolte général contre les bien-pensants de tous ordres, contre les soi-disant bonnes mœurs, contre les censeurs de tout poil. Et tant pis si elle choque.
À 18 ans, à Conakry, où son père a été muté, elle épouse son premier mari, un assureur, qu’elle trompe allègrement aussi bien avec des hommes que des femmes. De retour en France elle butine d’un cours de théâtre à la naissance de son premier enfant, en passant par du mannequinat chez Louis Féraud, avant de s’improviser représentante pour l’éditeur Jean-Jacques Pauvert, un esprit libre de l’édition, qui n’hésite pas à publier le marquis de Sade. Avec son aide, Régine créée sa propre maison, L’Or du temps, dont les publications sulfureuses font qu’elle est bientôt baptisée « la papesse de l’érotisme ». Les convocations au tribunal et les saisies pleuvent. Ça la stimule. Elle se retrouvera même privée de ses droits civiques.
Bientôt mariée au prince Pierre Wiazemsky, alias Wiaz (oui, le dessinateur), elle se fait davantage auteur qu’éditeur, toujours avec des convictions : « François Mauriac a dit : « Il y a deux types d’écrivains : ceux qui se mouillent jusqu’à la taille et ceux qui se mouillent jusqu’au cou. » J’espère être de cette dernière catégorie. » Pour autant, à 78 ans, elle doute toujours. Elle si combative a toujours « l’impression d’être constamment en retrait, de participer à la pièce en spectateur. » Qu’on la rassure : ses Mémoires démontrent exactement le contraire !
LIRE « L’enfant du 15 août, mémoires », Régine Deforges, éd. Robert Laffont, 480 p., 22 €.



Et aussi… Le cahier volé
Montmorillon, après la guerre. Deux jeunes filles sont amies, elles ont seize ans, l’une est rousse, d’une sensualité sauvage, c’est Régine. Régine Deforges. L’autre est blonde, androgyne, c’est Manon. Dans la chambre de Manon, les jeux interdits remplacent bientôt les jeux de société. Manon, qui reste habillée, aime caresser Régine, nue. Un garçon, jaloux ou tristement stupide, tombe sur un cahier intime de Régine, dans lequel elle raconte toutes ses journées. Tous les détails. Il le remet à ses parents… et à un abbé. De fil en aiguille, les filles sont convoquées à la gendarmerie, Régine est renvoyée de l’institution religieuse où elle étudiait. Pas Manon, scolarisée dans le public et issue de la bourgeoisie locale. On obligera Régine à brûler tous ses cahiers, en présence du garçon qui avait déclenché toute l’affaire. Elle sera insultée, agressée dans la rue. Pendant des années, ce traumatisme l’empêchera d’écrire. Mais il fera d’elle une révoltée, indifférente au qu’en dira-t-on, un seul mot d’ordre aux lèvres : « Qu’ils aillent se faire voir ! »
LIRE « Les Filles du cahier volé », Régine Deforges, Manon Abauzit, entretiens et photographies par Leonardo Marcos, éd. de la Différence, 144 p., 18 €.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire