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vendredi 20 septembre 2013

Aux enfants, le paradis ou l’enfer


Nicolas Clément

Une ferme isolée. Une famille – Marthe, douze ans ; Léonce, son petit frère ; leur maman – prend l’eau sous les coups du père. Il fut le « prince » de Marthe, il est maintenant son « ennemi juré » : « Chaque soir, je prie pour qu’il meure. Cependant, Maman répète C’est votre père, Et vous devez l’aimer. » Dans ce silence et cette violence, Marthe grandit dans un bonheur paradoxal, à donner, donner encore aux autres, à s’enivrer de la chaleur des bêtes, à s’étourdir des mots appris à l’école. Mais qu’il est difficile de se faire une place sans réponses à ses questions d’enfant : « J’aimerais savoir, pourtant, d’où je viens, de quel amour je suis née, si je serai, même une fois, l’endroit de quelqu’un. Papa dit Ça suffit les phrases à la con, Sors de table, Va nettoyer les outils. J’obéis. »
Les années passent. Florent, « d’une beauté sèche », arrive à moto et entre dans le cœur de Marthe, elle a seize ans. Papa cogne Maman une fois de trop, Marthe a dix-huit ans. Florent s’envole pour Baltimore, États-Unis, Marthe dans ses bagages, elle se lance dans les études, Maman disait « tu feras pour toi ce que je n’ai pas su faire, Élever un arc et viser large », elle a dix-neuf ans. Elle rentre en France pour assister à la reconstitution de l’assassinat de Maman, elle n’aurait peut-être pas du. Elle a vingt ans, les murs de la prison l’attendent.
Une découverte. La révélation de cette rentrée littéraire ? Nicolas Clément transfigure un sujet glauque (et qu’on a déjà pas mal lu) par  une écriture unique, tissant les mots avec une rare sensibilité et sensualité, quelque part entre Apollinaire et Jean Genet, affirmant haut et fort que la poésie met le feu au roman.
Une autre enfance, celle d’Emmanuelle Guattari. Là, ce n’est pas l’enfer, plutôt un paradis déglingué, elle est la fille de Félix, le psychiatre qui voulait que les soignants (et leurs familles) vivent au milieu des fous, ces Pensionnaires « avec le temps et l’air comme assis sur eux. L’air aussi dense que l’eau, l’air transformé en béton, comme l’eau se transforme quand on chute d’une certaine hauteur. » Ça se passait dans un château en Sologne, son parc, ses étangs, ses forêts. Un paysage des années 70 sur le point de basculer dans la modernité. Grandir entre le réel et « le reste, ce qui ne se voit pas dans le décor. […] Se laisser emmener dans une sorte de confiance douce et aimantée ; le curieux abandon. »
Bientôt, la clinique s’avère trop petite pour accueillir tout le monde. La famille emménage dans une tour d’une ZUP de la banlieue de Blois. Depuis, « la tour a été rasée ». Peut-on être nostalgique de lieux qui n’existent plus ? Par fragments, Emmanuelle Guattari papillonne dans les pleins et les creux de sa mémoire. Elle se fait joueuse, s’inventant même James, un frère qui « se bagarre beaucoup ». Comme si sa vie n’avait pas été insensée… On ne va pas lui donner tort : on n’en fait sans doute jamais assez pour « se sentir survivre, enfin, d’être encore là. »
LIRE « Sauf les fleurs », Nicolas Clément, éd. Buchet-Chastel, 76 p., 9 €.
« Ciels de Loire », Emmanuelle Guattari, 142 p., 13,80 €.

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