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vendredi 12 octobre 2012

Patrick Deville sublime Alexandre Yersin


Alexandre Yersin : né le 22 septembre 1863 à Aubonne dans le Canton de Vaud et mort le 28 février 1943 à Nha Trang, en Indochine française. Yersinia pestis : nom du bacille de la peste. Voilà en quoi la vie de ce personnage se résume aujourd'hui. Une sorte d'illustre inconnu qui fait partie des proches de Louis Pasteur, de la bande des pasteuriens, « la petite bande assemblée autour de la science en personne, la redingote noire et le nœud papillon. La petite bande qui s'en va pasteuriser le monde et le nettoyer de ses microbes. Beaucoup sont des orphelins ou des apatrides qui se choisissent un père et du coup une patrie. A côté de ça des casse-cou, des aventuriers, parce qu'il était aussi dangereux à l'époque de s'approcher des maladies infectieuses que de faire décoller un avion en bois. Une bande de solitaires. Les engueulades brutales et les amitiés indéfectibles. Le groupuscule activiste de la révolution microbienne."

Yersin a grandi auprès de sa mère, entouré de femmes... ce qui le rendra méfiant vis à vis d'elles. Pasteur sera auprès de lui une figure paternelle dont il saura s'éloigner sans pour autant s'en détacher. Car Yersin est une sorte d'instable. A la fin de sa vie il sera interrogé par deux scientifiques : « Alors il répond à leurs questions. Comment il a découvert le bacille et a vaincu la peste. Quitté la suisse pour l'Allemagne, l’Institut Pasteur pour les Messageries Maritimes, la médecine pour l’ethnologie, celle-ci pour l'agriculture et l'arboriculture. Comment il fut en Indochine un aventurier de la bactériologie, explorateur et cartographe. Comment il parcourut pendant deux ans le pays des Moïs avant de gagner celui des Sedangs. Les deux scientifiques l’interrogent sur ses lubies et ses inventions, l'horticulture et l'élevage, la mécanique et la physique, l’électricité et l'astronomie, l'aviation et la photographie. Comment il devint le roi du caoutchouc et le roi du quinquina. Comment il rejoignit à pied depuis Nha Trang le Mékong et Phnom Penh, pour finalement vivre cinquante ans dans ce village au bord de la mer de Chine. »
Et c'est là toute la force du nouveau roman de Patrick Deville. Plonger le lecteur dans une période où tout bouge à grande vitesse, où le monde bascule dans les horreurs de la guerre, où la France est à l'apogée de son empire colonial. Décrire ces mondes, des modes de vie, des cultures. Ne jamais prendre partie, ce n'est pas le rôle de l'auteur ici. Raconter, sans inventer. Patrick Deville réussit l'exploit de créer un livre exigeant, érudit, et pourtant limpide, et même entraînant, poétique. Mêlant les époques, il nous amène au cœur des évolutions de son personnage central si complexe, lui qui refuse de suivre une voie et une seule. Ses envies, son instinct, voilà son carburant.
Nous embarquons avec Yersin comme a embarqué tant de fois dans sa vie. Ce n'est pas un roman, c'est une promenade, une randonnée à travers le temps, les espaces, l'Histoire. Il faut se laisser glisser sur les mots, arpenter cette lecture comme un (beau) voyage.
LIRE « Peste & Choléra », Patrick Deville, éd. du Seuil, 220 p., 18,00 €.


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