Rechercher dans ce blog

vendredi 12 octobre 2012

Frédéric Pajak, éblouissant de noirceur



« C’est sûr, je voulais le mieux, et mieux encore : un mieux meilleur que le mieux. Mais quoi ? Et où ? » Voilà bien le drame de Frédéric Pajak : jamais vraiment à sa place, et sans argent, et sans trop savoir quoi faire de sa vie, et côté estime de soi… Le drame, et la chance : les très nombreux obstacles qui se sont dressés devant lui l’ont rendu insubmersible et, surtout, l’ont amené à se doter de la meilleure arme pour survivre : la curiosité.
Et ça ne date pas d’hier : « Je suis enfant, dix ans peut-être. Je rêve d’un livre, mélange de mots et d’images. Des bouts d’aventure, des souvenirs ramassés, des sentences, des fantômes, des héros oubliés, des arbres, la mer furieuse. » Les années passent, il entrevoit le dessin comme porte d’évasion. Mais il claque la porte des Beaux-Arts, il s’y ennuie.
Les années passent, les petits boulots s’enchaînent, dès l’âge de quinze ans. Lui, le jeune homme aux « mains trop douces » se tue à charger et livrer des carcasses de viande, à vider le fond des citernes à mazout, à rénover une autoroute durant un été brûlant. Il songe de temps à autre à son Manifeste, « état d’âme d’un solitaire, revanche abstraite d’un chagrin d’amour, hurlement contre les idéologies, contre l’air du temps et l’air qui passe ». Il se cherche un avenir à Paris, en Algérie, aux Etats-Unis. Il tente de caser ses histoires, ses dessins : « Pas assez commercial », la réponse ne varie pas.
Puis si, on va reconnaître son talent. Des éditeurs suisses, les Presses Universitaires de France, Gallimard et, depuis quelques années, farouchement à ses côtés, les éditions Noir sur blanc, lui donnent carte blanche. Il anime la magnifique collection des « Cahiers dessinés ». Chacun de ses romans graphiques est une splendeur mélancolique. Et aujourd’hui, enfin, voici le premier volume de son Manifeste incertain. Des souvenirs éparpillés, quelques pages sur Samuel Beckett, un vagabondage autour des Esprits, deux jeunes fascistes à la fin des années 80, et, comme l’évocation d’un frère, la figure de Walter Benjamin, le philosophe « rêveur abîmé dans le paysage ». C’est limpide, éblouissant de noirceur, « radieux ou désenchanté ». Unique.
LIRE « Manifeste incertain, 1 », Frédéric Pajak, éditions Noir sur blanc, 191 p., 23 €.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire