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vendredi 8 juin 2012

A l’ombre des jeunes pères sans cœur


Mark et Eleni ont survécu à « ça » : un père violent, ou absent, ou drogué, ou la misère. Ils racontent. Et dévoilent la face cachée du rêve américain.

Mark SaFranko
Un chemin de croix. On ne voit pas comment décrire autrement ce que fut l’enfance d’immigré polonais né à Trenton (New Jersey) du romancier Mark SaFranko, raconté par son alter ego, Max Zajack. Né du mauvais côté du rêve américain.
Rien ne semble lui avoir été épargné. Sa mère naviguait à vue entre hystérie (elle ira jusqu’à le battre à coups de batte de base-ball !) et mutisme (des jours d’affilée). Son père expliquait comment réussir dans la vie à qui voulait bien l’entendre – et même aux autres – mais se vautrait d’échec en échec (se vengeant également sur son fils plus souvent qu’à son tour). L’argent manquait en permanence, leur maison semblait maudite tant il y avait à réparer, leur voiture neuve explosait au bout de quelques semaines. Et Max était un gringalet, souvent malade, ou blessé, fallait appeler le médecin, encore des frais !
Les parents ne furent pas les seuls bourreaux. Il y eut également les « camarades » de scoutisme (quelle cruauté !) ou de classe. Ou les enseignants : pas un pour sauver l’autre à l’école catholique. La galerie de portraits est saisissante : le pharmacien juif qui se fait braquer, le coiffeur polonais qui tombe raide mort en coupant les cheveux du jeune garçon, le prélat qui se masturbe en écoutant la première confession de Max… et, en parlant de ça, notre héros ne pense qu’au sexe, fort précoce dans son cas.
A déconseiller aux âmes sensibles ? On pourrait sans doute en dire autant de l’existence en général. Les lecteurs de Céline, Bukowski, Harry Crews ou Pedro Juan Gutiérrez seront en pays connu : un récit âpre, terrifiant, saisissant. Fascinant. L’auteur le dit lui-même : « Je ne me suis jamais senti en paix avec moi-même. Jamais. Mais j’aime le chaos furieux dans mon esprit. C’est la preuve qu’on est en vie. »
Des phrases – et des moments – terribles, il y en a aussi chez Eleni Sikelianos, des phrases qui, chez elle, n’ont souvent l’air de rien : « Avant la mort de mon père, chaque fois que j’appelais son ex-femme, nous nous livrions à un petit jeu : Il n’est pas encore mort ? Non, répondait-elle, pas encore, et s’ensuivait un petit soulagement. » Un jour, pourtant, le 7 janvier 2000, le directeur de l’hôtel où était descendu le père d’Eleni l’a retrouvé « endormi » sur le sol de sa chambre. Dans ses poches, 11,42 $ et quelques babioles. « Ce sont là les choses que possédait mon père au dernier jour de sa vie. Pas de portefeuille. Pas de photos. Pas d’adresse de domicile. »
Car Jon Sikelianos préférait à la compagnie des hommes celle des arbres et des animaux. Sa vie, c’était s’évader, en disparaissant, en devenant un père physiquement absent, et en sombrant dans l’héroïne. Eleni cherche aujourd’hui, avec ce « Livre de Jon », à combler ce « trou noir » au cœur de son passé. Pour ce faire, elle ne romance pas, elle rassemble, par fragments (de lettres, de pages de journal, de rêves, de témoignages) ce qui pourrait l’aider à comprendre l’étoile filante que fut son père. Et quand sa quête s’épuise, c’est par la poésie qu’elle réunit les pièces de ce puzzle où la douleur le dispute à la tendresse.

LIRE « Dieu bénisse l’Amérique », Mark SaFranko, 13è note éditions, 400 p., 8 €.
« Le livre de Jon », Eleni Sikelianos, éd. Actes Sud, 160 p., 17 €.

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