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vendredi 26 avril 2013

Pères et fils, l’amour malgré tout



Il vit « seul, à l’instar d’un ermite, une maison blanche au cœur d’un bois ». Il se promène au milieu des arbres, il les compte, il y règne le silence, mais pas un silence de mort : elle est vivante, cette forêt, c’est même ce qui reste sans doute de plus vivant chez cet homme, tant il est étouffé, écrasé par les souvenirs douloureux.
Jeroen Brouwers

Quatre décennies plus tôt, il avait à peine vingt ans, il a aimé, puis épousé Mirjam. « Qu’est-ce qui m’avait pris de me marier ? » À l’époque, il avait « l’impression de mener une vie sans date et qu’il en serait toujours ainsi, l’impression que le temps filait à blanc sans tenir compte de moi et que je menais une inexistence. » À peine mariée, Mirjam veut un enfant. Il n’en a jamais été question. Il se sauve de la maison, comme bien souvent (il est, et restera, un invétéré coureur de jupons). Revient, se fait avoir, elle tombe enceinte. Ce sera un garçon. Nathan. Il fait de son mieux, mais le lien ne se fait pas. L’enfant grandit, entre les crises qui agitent désormais sans arrêt le couple. Quand son mari rentre d’une énième coucherie, Mirjam craque, et le renvoie. Elle n’autorisera plus aucun contact entre le père et le fils.
Dix ans plus tard, puis encore dix ans après, ces deux-là se reverront, furtivement, par hasard, à New York, puis à Vienne. Le père est devenu prof d’université, le fils a grimpé les échelons de la vie d’artiste, passant de chanteur de rue à producteur de comédies musicales. Le père se confesse, le fils ne veut rien entendre. Les ponts restent coupés. Jusqu’au jour où Mirjam appelle d’Amsterdam : Nathan est atteint d’une maladie rarissime, il n’en a plus que pour six mois. Le père se précipite au chevet de son fils.
Ce qui vient de nous ne nous quitte jamais, rappelle Jeroen Brouwers, l’un des plus grands auteurs néerlandais. Nathan, cet enfant que son père n’a pas désiré, est le sien, envers et contre tout. Incapable de le montrer, il aura aimé éperdument son fils. Et quand il finit par l’appeler « mon petit garçon », le lecteur est bouleversé, déchiré.
Guy Goffette
Simon, le narrateur de « Géronimo a mal au dos », le roman de Guy Goffette, se souvient, quant à lui, de son père. Bien obligé : il est face au cercueil dans lequel ce dernier repose. « Ce danseur crucifié à côté de la piste », ce père qu’il a « fui pour ne pas avoir à le détester ». Ce père désormais sans vie, ces mains comme des battoirs éteints qui s’abattaient autrefois sur Simon plus souvent que de raison.
Simon remonte la pelote des souvenirs. Le temps des regrets est-il venu ? Non, ce qu’il a fait (partir, trahir en quelque sorte les siens, attachés à leur terre), il reste persuadé qu’il devait le faire. Mais une forme de mélancolie, une nostalgie de ce que l’on n’a pas su se dire, prend forme : soudain, ce colosse, qui gît à présent inanimé, prend vie autrement, Simon le voit comme il ne l’avait jamais vu. Fragile, d’une certaine manière. Humain. Et le dialogue posthume s’installe, un chant d’espoir : « est-ce que tu comprends mieux ce fils aîné qui t’aimait sans le savoir, parce que la crainte des pères est une nuit en plein jour pour les enfants ? »
LIRE « Jours blancs », Jeroen Brouwers, éd. Gallimard, 194 p., 20 €.
« Géronimo a mal au dos », Guy Goffette, éd. Gallimard, 180 p., 16,90 €.

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