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vendredi 23 novembre 2012

"Nous avons décidé de ne pas nous quitter"


Février 1942, au Brésil, on retrouve les corps enlacés de Stefan et Lotte Zweig, suicidés. Un amour infini, que l’on retrouve dans leurs lettres.

Stefan Zweig
« Stefan Zweig se tua le premier. Il s’empoisonna sur le lit, tourné vers le plafond, et agonisa les mains croisées. [Il] était déjà mort avant que Lotte ne se suicide. Elle l’enlaça de sa main gauche, allongée à sa droite. » Nous étions le 23 février 1942, à Petrópolis, au Brésil, à une cinquantaine de kilomètres de Rio de Janeiro. Le suicide de Stefan Zweig fit l’effet d’une bombe : on se demandait comment un écrivain aussi reconnu, aussi célébré que l’auteur d’« Amok », de « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » ou du « Joueur d’échecs », avait pu en arriver là, lui qui « avait l’air si fort, si solide » (d’après l’écrivain français Romain Rolland), lui « qui aimait tellement la vie… » (dixit Klaus Mann, le fils de Thomas Mann).
On imaginait que Stefan et Lotte Zweig vivaient au paradis. Dès leur installation en septembre 1941 à Petrópolis, Stefan avait écrit à sa première femme, Fridrike : « aussi primitif que cela puisse être ici, j’y serai libéré des hôtels et n’aurai plus à m’occuper des valises. » Car, depuis qu’il avait quitté l’Autriche en 1933, fuyant le nazisme, Stefan, bientôt accompagné de sa nouvelle épouse Lotte (qu’il avait rencontré en 1934 quand elle fut embauchée à Londres pour être son assistante), n’avait plus jamais cessé de voyager. Amérique du Sud, Etats-Unis, Angleterre, Stefan Zweig était accueilli partout en vedette, mais il ne se sentait chez lui nulle part, « je n’appartiens à aucun lieu et je suis un étranger partout » écrira-t-il.
Petrópolis aurait du être leur refuge, un lieu de paix et de tranquillité. Le Brésil était alors une destination très courue par les immigrants et réfugiés juifs, et la plupart s’intégreront vite à la société brésilienne. Pour les époux Zweig, ce ne sera pas le cas : ils vont se sentir coupables de vivre dans un environnement idyllique quand tant de leurs amis souffrent de la guerre. Le climat non plus ne leur est pas favorable, la pluie accable Lotte à cause de son asthme, la chaleur les empêche de travailler. Et, comme l’analysent Darien J. Davis et Olivier Marshall en introduction des « Lettres d’Amérique » aujourd’hui publiées : « des tensions psychologiques se retrouvent dans toutes les lettres de Petrópolis : entre l’ancien et le nouveau, ce qui a été perdu et ce qui a été découvert, le pessimisme et l’optimisme. Au fil des lettres, le sentiment d’isolement et le désespoir s’intensifient. » Bientôt, Stefan n’aura plus la force d’espérer la chute d’Hitler. La dépression, une vieille connaissance, aura pris le dessus.
On a longtemps pensé – c’est la thèse de la plupart des biographes de Zweig – que Lotte fut une épouse effacée, quasi-muette. Les lettres d’Amérique montrent au contraire une femme, certes très affectée par sa santé fragile et par les « ténèbres » qui assaillent son mari, mais bien présente. La main dans la main avec Stefan, à la vie à la mort. L’avant-veille de leur suicide, Stefan écrit à son beau-frère, le frère de Lotte : « nous avons décidé, unis dans notre amour, de ne pas nous quitter. » Le même jour, Lotte écrit à sa belle-sœur : « Croyez-moi, c’est mieux ainsi. » Paroles d’une épouse amoureuse, digne, décidée.
LIRE « Lettres d’Amérique », Stefan et Lotte Zweig, éditions Grasset, 304 p., 22 €.

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