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vendredi 16 novembre 2012

A la vitesse d'une balle de revolver


Les années 80. Un vent de liberté, de folie, le punk. Mais aussi : la drogue, la fin des utopies, de l’innocence. Qui nous valent de superbes livres.

Anne Berest
C’est un roman en forme d’escargot. Un récit en cercles concentriques. On tourne autour du pot, lentement, et de plus en plus près. Ça ne fait pas l’affaire de Denise, la narratrice. Elle, elle veut aller vite, droit devant, pour connaître la vérité sur son père, Patrice Maisse, une étoile filante du cinéma français. Savoir, surtout, ce qui s’est passé entre mars et Noël de l’année 1985 quand papa est parti « en voyage ».
Personne ne veut lui en parler. Ni Matilda, sa mère. Ni ce Paul-Antoine, rencontré sur l’île de Porquerolles, un bavard invétéré… qui s’était fermé à double tour à l’évocation de 1985. A 22 ans, Denise devrait s’y faire : s’accommoder des silences, laisser les fantômes où ils sont. Mais elle n’y parvient pas et jette son dévolu sur un certain Gérard Rambert, expert en art, qui a bien connu son père. Commence un étrange jeu du chat et de la souris. Pervers en diable, Rambert est manipulateur, hâbleur, retors, mais il est peut-être prêt, lui, à dévoiler ce qui ne doit pas être…
Anne Berest jongle ainsi avec les nerfs de son héroïne comme avec les nôtres (elle nous met KO page 216… et il en reste encore 100, formidables, à lire). Digressions, fausses pistes, elle tisse une toile étrange, et pourtant, tout s’assemble, tout fait sens. D’apprendre par exemple qu’Abraham Rosenberg, né à Strasbourg, avait attendu 1963 pour prendre le nom de Rambert, ça nous dit quoi ? Que cela avait changé beaucoup de choses pour Gérard, son fils, 10 ans à l’époque : qu’il n’y aurait plus « de sale Juif » quotidien dans la cour de l’école. Cette humiliation-là, qui rend fort aussi, qui nous détache du lot aussi, on la retrouvera ailleurs dans le roman : quand le lien sera fait entre Gérard et Patrice Maisse. Ils ont séjourné ensemble chez « Le Patriarche », cette association créée en 1972 par Lucien Engelmajer, et qui au nom de la lutte contre la toxicomanie broiera tant de vies (même s’il en sauvera d’autres). Un séjour effroyable. Anne Berest ne juge pas. N’empêche : ces pages-là forment un réquisitoire implacable.
Yves Tenret, en ses "folles années"
« Funky boy » d’Yves Tenret pourrait être la lecture complémentaire d’Anne Berest. Celle-ci nous donne à lire les conséquences de la folie, dans ses beaux et ses atroces aspects, qui anima la génération des années 70 et 80. Yves Tenret nous plonge au cœur de cette démence. Comme le dit l’un de ses personnages : « Je voulais être l’émeute par elle-même. […] Je voulais inventer de nouveaux sentiments comparables en puissance à la haine et à l’amour. […] Je voulais faire la guerre de la liberté avec générosité et colère. » Le programme imparable des indomptables.
Dans ce collage de textes rythmé par des photomatons improbables, le « rien n’est sérieux » (no future ?) fraternise avec le « je vous prends de haut » (rebel ! rebel !), la posture défie la sincérité. Lire, fumer, déconner, vivre, « hurler, pourquoi ? ». Comme dans ses précédents ouvrages, Yves Tenret se présente en iconoclaste invétéré mais vertébré. Quand on l’aura fiché dans une case, il sera content : il s’en sera déjà évadé. « Le paradis sur terre sinon rien ». Sinon l’enfer ?
LIRE « Les Patriarches », Anne Berest, éditions Grasset, 320 p., 19 €.
« Funky boy », Yves Tenret, médiapopéditions, 112 p., 12 €.

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