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vendredi 25 mai 2012

Quand nos vies valent la peine d’être vécues



François Cheng
J.-B. Pontalis
Chez François Cheng, l’amour rend immortel dans la Chine du cruel roi Zheng. Pour J.-B. Pontalis, avoir tous les âges serait une réponse à la peur de la mort.

Elle s’appelle Chun-niang. Elle n’est encore qu’une enfant quand ses parents, de pauvres paysans jetés sur les routes à cause d’une famine, la vendent à des aubergistes. Là, elle va à la fois connaître l’horreur en se faisant violer par son nouveau « père », et une double illumination, en rencontrant les deux hommes de sa vie : Gao Jian-li, qui ensorcele son public en jouant du zhou (un instrument à cordes chinois), et Jing Ko, un mercenaire au grand cœur. Ces trois-là, dans la folie de ces temps reculés (le 3ème siècle avant notre ère) vont vivre d’amour et d’amitié, de passion et de respect, en harmonie avec la nature. « Moment miraculeux. »
Hélas, hier comme aujourd’hui, la folie d’un seul peut précipiter dans le malheur des millions d’autres. Le tyran d’alors se nomme le roi Zheng. Aussi ambitieux qu’audacieux, il « est connu pour son caractère cruel et féroce. » Son appétit de pouvoir n’a pas de limites, et il se lance à l’assaut des royaumes voisins, les réduisant à sa merci l’un après l’autre, ruinant les territoires, décimant les populations, régnant par la terreur et les tortures les plus effroyables. Il sera confié au valeureux Jing Ko la mission de l’assassiner. En pure perte. Gao Jian-li prendra le relais. Il en mourra aussi. Histoire tragique ? Certes. Mais ces deux « âmes errantes », comme les qualifie François Cheng, vont revenir, et reprendre leur merveilleuse ronde avec Chun-niang, dans cette vie, une autre vie, « une autre vie dans cette vie. » Que s’élève alors, pour clore ce livre singulier, mélange de récit historique et d’ouvrage de sagesse universelle, le délicat et puissant « chant des âmes retrouvées », celui qui clame que « toute vie est à refaire et à réinventer. »
J.-B. Pontalis est compagnon de philosophie de François Cheng. Le temps est également sa grande question. Dans « Avant », il s’interroge, par fragments, anecdotes ou abécédaire, sur cette étrange manie que nous avons (presque) tous de dire « C’était mieux avant », au mépris du constat objectif de l’amélioration de nos conditions d’existence. Plusieurs explications : ceux qui nous étaient chers disparaissent (avant, c’était « quand tous mes amis, quand tous ceux que j’aimais, étaient vivants ») ; et « nous acceptons mal notre finitude, nous ne voulons pas être réduits à notre existence éphémère » ; enfin, notre mémoire ne sélectionne peut-être que les pages roses du passé (c’est pour cela que le psychanalyste « ne fait guère confiance aux souvenirs racontés, évoqués, tant ceux-ci sont transformés, déformés comme l’est tout récit »).
Nous nous retournons avec trop de bienveillance sur notre passé car, plus nous vieillissons, et plus nous prétendons que le temps s’écoule trop vite. La fin approche à trop grands pas, en nous laissant dans l’ignorance de son irruption. La solution - et là Pontalis rejoint encore François Cheng - serait d’affirmer haut et fort que « j’ai tous les âges, je suis un animal féroce, un végétal, une étoile, un rocher, un fleuve, un feu qui brûle, un oiseau, un poisson, je nais et je meurs. » Et la peur serait partie ?

LIRE « Quand reviennent les âmes errantes », François Cheng, éd. Albin Michel, 160 p., 14 €.
« Avant », J.-B. Pontalis, éd. Gallimard, 146 p., 14,50 €.

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