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vendredi 22 mars 2013

Ainsi s’en vont les âmes humaines



Anna a été agressée, violée, assassinée alors qu’elle faisait son jogging. C’est allé très vite : « Anna se débat au hasard, sa douleur cabotine quelques secondes, puis son cœur s’étouffe, pas le temps de pleurer car, bien vite, elle sait que tout ce qui vit ne l’aimera plus. » Elle avait quarante ans. Vivait seule. Elle venait de rencontrer quelqu’un. Son existence était sur le point de basculer vers le grand large. Au lieu de ça…
Sylvie Aymard
Il est temps de raconter Anna. Un roman familial bancal, avec son lot de drames et de silences. Du banal, mais fichtrement bien raconté, et écrit, par Sylvie Aymard, styliste hors pair, qui s’y connaît en formules qui déshabillent d’un coup ses personnages. Les parents d’Anna ont été restaurateurs, et sont aujourd’hui épiciers. Sa mère ignore le don, la tendresse : elle l’appelle la duchesse. Son père ne fait pas le poids face à cet iceberg, il est lâche, il est muet. Il est bon, sûrement, mais on ne le sait pas. Anna a eu deux frères. Le premier, Noé, est mort noyé alors qu’elle en avait la garde. La duchesse ne l’a pas supporté, Anna a été exilée à Paris chez Luce, une cousine, libre et étrange. Une chance. Le second, Edgar, onze ans de moins qu’Anna, a grandi dans les jupes de la duchesse, un vrai carcan. Majeur, il s’est dépêché aussi de monter à Paris. « Timide, très pâle, il semble sortir d’un bain moussant ». Et il se consume d’adoration pour sa grande sœur. Morte, à présent.
Ainsi vont et s’en vont les âmes humaines, entre les décisions à prendre et les accidents d’une vie. Sylvie Aymard en fait un formidable roman, tout en nuances et en cruauté. Emmanuèle Bernheim a, quant à elle, opté pour le récit autobiographique. Son père, forte tête s’il en est, a été victime d’un AVC. Il s’en remet, difficilement. Il a déjà survécu à pas mal de secousses, mais là, à 88 ans, il décide que c’est en trop. Il veut – car c’est le genre d’homme à exiger – que ses filles, Emmanuèle et Pascale l’aident à en finir. Euthanasie, le mot n’est pas lâché, mais c’est tout comme. Papa est décidé, rien de le fera changer d’avis. Ses filles, évidemment, ne sont pas prêtes à ça. Même si « ça » (entendre leur père parler de suicide) n’est pas nouveau (voir l’extrait ci-dessous).
Emmanuèle Bernheim
Emmanuèle et Pascale sont brusquement précipitées sur le pont d’un navire qui chavire. Qui coule, et elles se raccrochent à ce qu’elles peuvent. Les bouées de sauvetage sont les bras d’un amoureux, les paroles d’un ami, les pilules qui aident à mettre un pied devant l’autre ou à dormir. Il y a aussi cette dame qui vient de Suisse, car c’est là que c’est possible, c’est à Berne que leur père va s’en aller en douceur et pour toujours, cette dame qui parle si tranquillement de la mort, qui leur assure que « tout va bien se passer ».
On lit ces pages comme on ne devrait pas, comme la morale bien-pensante voudrait nous interdire de le faire : comme un roman d’aventures. Les rebondissements sont parfois si inattendus que la tragédie nous amène à sourire. Même la fin ne sera pas de tout repos. Mais là, les larmes seront de la partie.
LIRE « C’est une occupation sans fin que d’être vivant », Sylvie Aymard, éditions Grasset, 180 p., 14,80 €.
« Tout s’est bien passé », Emmanuèle Bernheim, éditions Gallimard, 208 p., 17,90 €.


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