Quoi de plus approprié qu’un chien pour décrire la vie
de… chien des êtres projetés dans l’univers du goulag stalinien ? Celle
des déportés, évidemment, mais également des gardiens des camps, sans oublier
celle des habitants des communes voisines, une existence sans tendresse, où les
brimades et la vodka tiennent chaud, entre nature sauvage, politique absurde et
terreur permanente.
« Le fidèle Rouslan » - le titre de ce
chef-d’œuvre de Gueorgui Vladimov - se tient donc chaque jour au côté de son
« maître », l’un des gardiens du camp, pour accomplir au mieux son
Service (Rouslan tient beaucoup à la majuscule, sa mission est sacrée). Mais ce
matin-là, quelque chose a changé : les prisonniers ont disparu.
Tous ! Rouslan a été dressé pour les pourchasser, les traquer, les
saigner, mais comment réagir quand l’ordre « Attrape ! » n’est
pas donné, quand les portes du camp sont grandes ouvertes ? Pire : Rouslan
est même rapidement par être congédié par son maître alors que personne,
jamais, ne lui a appris la saveur, l’utilité de la liberté. Après avoir
beaucoup erré en ville, il est adopté par un ancien déporté, le Râpé (dont
Rouslan reconnaît la peau, voir l’extrait ci-dessous), qui forme un duo
brinquebalant avec la mère Stioura. Une nouvelle vie commence, criblée de
frustrations et d’espoirs, pour un Rouslan taraudé par cette question :
comment vivre libre quand on ne sait qu’obéir et servir ?
Comme le souligne l’écrivain Owen Matthews en préface de
la réédition du « Fidèle Rouslan » : si Vladimov est certes mort
en 2003, il nous a livré « une terrifiante prophétie de la Russie de
Vladimir Poutine, où les années de libéralisation de la période Eltsine sont de
plus en plus dénoncées comme infâmes […]. Et Rouslan, serviteur fidèle et
inconditionnel de l’autorité, est clairement l’ancêtre des nouveaux membres de
la police secrète […] : loyaux jusqu’à l’absurde à leurs maîtres. »
Chasseurs de mammouths photographiés par Evgenia Arbugaeva (Revue 6 MOIS) |
Un Vladimir Poutine qui a compris que le contrôle de la
population servirait ses intérêts économiques. La remarquable revue 6MOIS
montre la formidable bataille qui se joue dans les terres désolées où pullulaient
jadis les camps du goulag stalinien. L’Eldorado au-delà du cercle polaire, un
milieu hostile (et massacré par les hommes), une tâche titanesque, racontés par
le photographe Justin Jin. Le sous-sol du grand Nord russe est particulièrement
garni, riche en or, diamant, zinc, plomb, etc. Il recèlerait 30 % des réserves
mondiales en gaz naturel. Norilsk, par exemple, une cité minière de l’Arctique
construite par les prisonniers du goulag (il y en eut jusqu’à 70 000 dans ce
seul camp) et qui produit aujourd’hui un cinquième du nickel mondial, est la
ville la plus polluée de Russie. Elena Chernyshova a cherché à comprendre
comment l’on pouvait y vivre alors que les nuits durent 24 heures et l’hiver
neuf mois. Et puis il y a ce reportage incroyable d’Evgenia Arbugaeva sur les
chasseurs de mammouths (voir la photo ci-dessus). Loin de la civilisation et
souvent dans l’illégalité, des hommes recherchent dans les terres gelées de la
toundra sibérienne des trésors d’ivoire emprisonnés depuis des milliers
d’années. Sidérant !
LIRE « Le
fidèle Rouslan », Gueorgui Vladimov, éd. Belfond, 278 p., 17 €.
« Russie, l’appel du Nord », revue 6MOIS n°7,
306 p., 25,50 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire