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vendredi 30 août 2013

Un testament en forme de chant d’amour


Jean d’Ormesson n’est pas à la mode, il s’en accommode sans « rejet ni colère, ni amertume – et aucune illusion. » Il n’est pas à la mode, mais il est désormais culte (le chanteur Julien Doré porte un tatouage à son nom). Il vient d’un monde qui incarnait « le bon goût, la sûreté de jugement, la justesse d’esprit, l’élégance », d’une famille qui rêvait de « grandes choses » et qui n’en réalisait que de petites, et ce monde s’achève avec lui. À 88 ans, il est sur le déclin, alors il pense que la Terre entière décline.
Sa vie, il va raconter sans se la raconter. Ce qu’il appelle son « fatras », ces « quelques délires », offre cette merveille d’érudition, de générosité, de simplicité. Le savoir en partage, une tendre ironie en écharpe. Une toile tissée de son univers à l’univers tout entier, avec « au-dessus de nous quelques chose de sacré. » Un roman unique, un chant d’amour à Marie - son épouse -, qui ne se résume pas. Nous avons préféré en extraire quelques aphorismes dont il a le secret.
Moderne ? « Le comble du moderne, c’est à la fois de passer pour rebelle, d’avoir le pouvoir et d’être plein aux as. »
Facebook. « Une communion sans Dieu, mêlée de conf
ession. »
Rêver ? « La seule leçon de l’histoire depuis les temps les plus reculés jusqu’à hier et aujourd’hui est que nos décisions et nos rêves sont toujours contrariés par la suite des événements. »
L’argent. « Un serviteur dont l’idée fixe est de devenir le maître – et il faut l’en empêcher. »
La vie. « Une aventure, une crise, un paradoxe et une ironie. »
La mort. « Survivre à la mort est une illusion. La mort met un terme à la vie. Mais il y a peut-être autre chose que la vie. »
L’espace et le temps. « Nous sommes vainqueurs de l’espace qui est la forme de notre puissance. Nous sommes vaincus par le temps qui est la forme de notre impuissance. »
Le temps (bis). « Le seul avenir de l’avenir est de devenir du passé. […] Le passé est ce qui empêche l’avenir d’être n’importe quoi. »
La science. « La science avance lentement d’erreur en erreur vers quelque chose qui passe pour la vérité. »
LIRE « Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit », Jean d’Ormesson, éd. Robert Laffont,
260 p., 21 €.

La mélancolie de l’état des lieux



Le départ est fixé au 27 mars 2012. Une équipe de télévision va suivre Amélie Nothomb sur le chemin de ses souvenirs. Elle n’a plus mis les pieds au Japon depuis 1996. Seize ans sans Japon. Partir tombe bien : « J’étais à cette époque à un stade de mon cerveau où je valais moins que rien » Elle sentait qu’elle avait « besoin d’être sauvée. » De quoi ? Mystère. Mais, en même temps, elle a peur de ces retrouvailles. Avec raison. Elle va renouer avec Nishio-san, sa nounou, sa deuxième maman, ce sera un pur moment d’émotion, tout le monde pleure. Elle revoit son école maternelle. Revient à Kyoto, une ville d’une « mixture inimaginable », à Tokyo et « son explosion parfaitement maîtrisée ». Retrouve Rinri, l’amoureux de ses vingt ans, le héros de « Ni d’Eve ni d’Adam », épanoui, beau comme autrefois, souriant, il a désormais quarante-trois ans, il crée et fabrique des bijoux, des chaussures, des vélos. Amélie découvre Fukushima et y apprend, dans sa chair, la signification du mot « apocalypse ».
Heureusement, de retour à Tokyo, les cerisiers sont en fleurs, dans un parc elle accède à une forme d’accomplissement supérieur, le kenshō. Prise d’une nostalgie heureuse, elle peut enfin « regarder en arrière sans crainte ni regret. » Et rentrer en France. Et trouver les mots pour ce voyage. Ce n’est pas tant de la littérature que du journalisme littéraire, mais Amélie Nothomb emporte le morceau grâce à la simplicité et à la sincérité de son récit.
Éblouissant et limpide, Arnaud Cathrine, ou du moins son double Aurélien Delamare, remet également ses pas dans les traces de sa jeunesse. La maison familiale est à vendre, c’est à lui qu’échoit la corvée de la faire visiter, juste une affaire de 48 heures en Normandie avant de revenir se pelotonner dans l’agitation parisienne. Mais les racines, qu’on croyait rompues, s’accrochent à lui. Ainsi de l’agent immobilier chargé de la vente, Hervé, un ancien camarade d’école. Enfin… camarade, c’est vite dit. Hervé et son acolyte Benoît avaient fait d’Aurélien leur souffre-douleur au collège. Il avait su, au contraire, les amadouer, en faire ses alliés au lycée. Hervé a fait son bonhomme de chemin, bon job, belle petite famille. Et Benoît ? Benoît est mort, après de longs séjours psychiatriques. Hervé raconte ce qu’il sait, mais il plane comme un goût d’inachevé.
Sans trop savoir pourquoi, Aurélien décide de prolonger son séjour. Il boit trop, mène une vie effondrée alors qu’il devrait être à Paris en pleine promo de son dernier roman. Il accepte de garder pour une semaine la petite Michelle, l’enfant de son ex-Junon. Michelle, c’est comme un rayon de soleil. Elle a peur de tant de choses, il la protège de tout. Et lui, le reclus de Normandie, sait-il se protéger avec son éternel masque de garçon bien élevé ? Pourquoi baisse-t-il la tête face à Cyrille, son odieux grand frère ? Pourquoi l’amour lui glisse-t-il entre les doigts ? « Vous croyez qu’on a plusieurs vies ? » lui demande Myriam, la veuve de Benoît, venue lui confesser un incroyable secret. Il sourit, il ne sait pas.
LIRE « La nostalgie heureuse », Amélie Nothomb, éd. Albin Michel, 160 p., 15,60 €.
« Je n’ai rien retrouvé », Arnaud Cathrine, éd. Verticales, 230 p., 17,90 €.

jeudi 29 août 2013

Clara, Jane et les autres



Il pensait qu’après Clara, il n’y en aurait plus d’autre. Il passe « de femme-pansement en femme-pansement, jamais vraiment seul, toujours vraiment seul. » Et puis, dans un bar où il boit trop, il rencontre Jane. Il la revoit, elle lui confie son mot préféré : « être ». Il va le conjuguer avec elle. C’est beau, comme ce texto : « La nuit était belle, Antoine, animal sauvage, mon cœur est rempli d’étoiles filantes. » Son mot préféré à lui, c’est « funambule ». En équilibre… instable. Ses histoires ne durent pas, même avec Jane, il tient tellement à sa sacro-sainte indépendance. Encore quelques mois de hauts et de bas, tout devient si compliqué. Et c’est la fin, Jane le quitte. Comme saisi par cette rupture, Antoine va créer 21 sculptures – c’est son métier - pour une exposition intitulée « Regarder l’amour de travers ». Et une nouvelle jeune femme, Lola, rentre dans sa vie, la vie de « l’homme qui avait peur d’aimer. »
LIRE « Solo », Éric Genetet, Le Verger éditeur, 136 p., 13,50 €.

mercredi 28 août 2013

OUI ! etc.



Henrik Pettersson, un marginal suédois (si, si, ça existe), trouve un smartphone dans le métro. C'est du très high tech, jamais il n'a vu ça. Ce téléphone affiche régulièrement le même message : « Tu veux jouer ? » Est-ce le hasard ? Henrik - dit HP – finit par craquer, clique sur « OUI », et va se lancer dans des missions de plus en plus périlleuses. Jusqu'au jour où il balance une pierre du haut d'un pont. Dans la voiture qui passe dessous se trouve notamment Rebecca Normén, appartient à l’élite des gardes du corps. Elle a vécu avec un homme violent et depuis elle se méfie. Seul compte son petit frère car il lui a sauvé la vie.
Avec brio, l'auteur nous entraîne dans une configuration ludique (qui rime ici avec énigmatique) de Big Brother. Les rebondissements s’enchaînent, haletants. On connaîtra le lien qui unit HP à Rebecca. On n’a qu'une hâte : lire la suite qui sort le 14 novembre prochain.
LIRE « Le jeu niveau 1», Anders de la Motte, éd. Fleuve noir, 419 p., 19,90 €.


vendredi 23 août 2013

La dame grise



Marie, la fille de Jean-Louis Fournier, c’est l’enfant que tout le monde voudrait avoir, belle, intelligente, une graphiste de talent. Il vient de la perdre. Elle était « charmante et drôle. Elle est devenue une dame grise, sérieuse comme un pape. » Elle est entrée en religion, on ne sait pas laquelle, dans les filets d’un homme surnommé par l’auteur Monseigneur, « un illuminé, mais il n’éclaire pas. » Elle ne donne presque plus de nouvelles à son père, ou alors c’est pour lui demander de l’argent. S’il n’en donne pas, elle le traite de « vieux gamin égoïste et sadique ». Elle multiplie les messes pour sauver son âme. Elle n’a plus jamais tort, médit de tout le monde. Papa, ironique et accablé, s’interroge : « Pourquoi, depuis que tu es à Dieu, tu es odieuse ? ». Même si, au fond,  il se dit que « l’important, c’est qu’elle soit heureuse », très vite, il s’inquiète : « Est-ce qu’elle est heureuse ? »
LIRE « La servante du Seigneur », Jean-Louis Fournier, éd. Stock, 160 p., 14 €.