C’est un homme gris, sans relief ni aspérités, ce
Célestin Arepo qui naît à Paris en 1900 dans une famille modeste. Il grandit
sans faire de vagues, pris tout de même d’un goût pour les mots, plongé très
tôt dans les dictionnaires et les mots croisés. Sa vie professionnelle
s’oriente pourtant vers les chiffres : il reprend le poste de comptable
qu’occupait son père – mort au champ d’honneur à Verdun - aux établissements
Dubreuil, une usine de roulements à billes pour l’industrie automobile, proches
de la gare de l’Est. Toujours discret, un peu mélancolique, Célestin aime son
métier.
Le jour où il va choisir l’emplacement de sa future tombe
au cimetière Montmartre – notre comptable est prévoyant -, il se lie d’amitié
avec Mathieu, le gardien principal. Mathieu et son secret (la sculpture),
Mathieu et sa passion (la pêche), Mathieu et sa vie « pleine d’émotions et
de liberté : avec lui, les cœurs parlaient sans masque. » Au
détour d’une partie de pêche avec Mathieu, Célestin va découvrir au bord d’un
lac le bonheur de la rêverie, et déchire d’un coup « le voile qui lui masquait
les couleurs du monde. »
Jérôme Millon |
Célestin est changé, il est plus ouvert aux autres. Il
remarque notamment Rose, la nouvelle serveuse au Café du Quai où Célestin a ses
habitudes. Entre eux, une douce valse de séduction se livre, on ne brusquait
pas les choses en ce temps-là. L’attirance est réciproque, pour Célestin, c’est
évident : Rose est la femme de sa vie. Tout est si simple entre eux…
jusqu’à cette fin de dîner où Rose lui demande soudain : « Êtes-vous
croyant ? » Un gouffre s’ouvre sous Célestin. Le voici dos au
mur : que répondre ? La métaphysique, il s’en était (trop ?) peu
préoccupé jusque-là. Heureusement, Mathieu est là, qui l’emmène à Notre-Dame de
La Salette, dans l’Isère, à près de 1800 mètres d’altitude, visiter Père
Anselme, un prêtre de ses amis. Là-haut, il lui faut « reconnaitre son
amour pour Rose et accepter d’avoir la foi sans le savoir. » Il en revient
apaisé.
La vie se poursuit, le couple est heureux, Célestin fait
toute sa carrière chez Dubreuil. À la retraite, les collègues offrent au couple
un voyage « d’un château l’autre au bord du Rhin ». On passe par la
gare de Strasbourg, on visite Ehrenbreitstein, Stolzenfels, Lahneck (citadelles
bien réelles) et, enfin, Castalie (une invention de l’auteur). Là, Célestin va
découvrir un retable (on parle aussi dans le livre du retable d’Issenheim) peint
par un Chevalier teutonique, le chevalier Lauscher, dont l’existence présente,
à tant de siècles de distance, d’étranges similitudes avec celle de Célestin. Notre
homme en est bouleversé : « la rencontre de son double est sans doute
la pire épreuve qu’un homme ait à supporter. »
Pour son premier roman, l’éditeur Jérôme Million jongle entre
une histoire simple (à la Claude Sautet), tendue de sentiments et d’érudition
(Arepo, le nom de Célestin, est tiré d’un carré magique trouvé dans les ruines
de Pompéi ; Castalie et Lauscher sont des allusions à Hermann Hesse). Et
pose au passage ces questions fondamentales : « Se pouvait-il que
par-delà les siècles se rejouent les existences des hommes ? Qui tire les
ficelles ?
LIRE
« Vie et destin de Célestin Arepo », éd. La Fosse aux ours, 128 p.,
16 €.
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