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vendredi 6 septembre 2013

Sommes-nous des hommes libres ?



C’est un homme gris, sans relief ni aspérités, ce Célestin Arepo qui naît à Paris en 1900 dans une famille modeste. Il grandit sans faire de vagues, pris tout de même d’un goût pour les mots, plongé très tôt dans les dictionnaires et les mots croisés. Sa vie professionnelle s’oriente pourtant vers les chiffres : il reprend le poste de comptable qu’occupait son père – mort au champ d’honneur à Verdun - aux établissements Dubreuil, une usine de roulements à billes pour l’industrie automobile, proches de la gare de l’Est. Toujours discret, un peu mélancolique, Célestin aime son métier.
Le jour où il va choisir l’emplacement de sa future tombe au cimetière Montmartre – notre comptable est prévoyant -, il se lie d’amitié avec Mathieu, le gardien principal. Mathieu et son secret (la sculpture), Mathieu et sa passion (la pêche), Mathieu et sa vie « pleine d’émotions et de liberté : avec lui, les cœurs parlaient sans masque. » Au détour d’une partie de pêche avec Mathieu, Célestin va découvrir au bord d’un lac le bonheur de la rêverie, et déchire d’un coup « le voile qui lui masquait les couleurs du monde. »
Jérôme Millon
Célestin est changé, il est plus ouvert aux autres. Il remarque notamment Rose, la nouvelle serveuse au Café du Quai où Célestin a ses habitudes. Entre eux, une douce valse de séduction se livre, on ne brusquait pas les choses en ce temps-là. L’attirance est réciproque, pour Célestin, c’est évident : Rose est la femme de sa vie. Tout est si simple entre eux… jusqu’à cette fin de dîner où Rose lui demande soudain : «  Êtes-vous croyant ? » Un gouffre s’ouvre sous Célestin. Le voici dos au mur : que répondre ? La métaphysique, il s’en était (trop ?) peu préoccupé jusque-là. Heureusement, Mathieu est là, qui l’emmène à Notre-Dame de La Salette, dans l’Isère, à près de 1800 mètres d’altitude, visiter Père Anselme, un prêtre de ses amis. Là-haut, il lui faut « reconnaitre son amour pour Rose et accepter d’avoir la foi sans le savoir. » Il en revient apaisé.
La vie se poursuit, le couple est heureux, Célestin fait toute sa carrière chez Dubreuil. À la retraite, les collègues offrent au couple un voyage « d’un château l’autre au bord du Rhin ». On passe par la gare de Strasbourg, on visite Ehrenbreitstein, Stolzenfels, Lahneck (citadelles bien réelles) et, enfin, Castalie (une invention de l’auteur). Là, Célestin va découvrir un retable (on parle aussi dans le livre du retable d’Issenheim) peint par un Chevalier teutonique, le chevalier Lauscher, dont l’existence présente, à tant de siècles de distance, d’étranges similitudes avec celle de Célestin. Notre homme en est bouleversé : « la rencontre de son double est sans doute la pire épreuve qu’un homme ait à supporter. »
Pour son premier roman, l’éditeur Jérôme Million jongle entre une histoire simple (à la Claude Sautet), tendue de sentiments et d’érudition (Arepo, le nom de Célestin, est tiré d’un carré magique trouvé dans les ruines de Pompéi ; Castalie et Lauscher sont des allusions à Hermann Hesse). Et pose au passage ces questions fondamentales : « Se pouvait-il que par-delà les siècles se rejouent les existences des hommes ? Qui tire les ficelles ?
LIRE « Vie et destin de Célestin Arepo », éd. La Fosse aux ours, 128 p., 16 €.

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