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vendredi 27 septembre 2013

La solitude prépare la révolution



Dominique Paravel
Madame Guarcino, « est devenue encombrante pour tout le monde ». Alors, elle se venge à sa manière en mettant un rien de désordre dans le supermarché où elle fait ses courses. C’est sa révolte à elle, qui ne peut plus vivre décemment avec la pension de réversion de son mari. Elle n’est pas la seule à prendre de plein fouet la violence de notre époque : Angèle s’épuise à vendre des forfaits téléphoniques, harcelée par son superviseur ; la petite Violette se fait traiter de pauvre par ses « camarades » d’école ; Jean-Albert se détruit en détruisant d’autres existences, celles qu’il licencie pour le compte de sa multinationale ; Élisée se crève à transporter des « âmes assoupies » à bord de son bus. Ils sont si nombreux, une multitude, dont la fatigue, physique, nerveuse, morale, leur « tord les reins ». Ce sont les habitants de la rue Pareille, à Vaise, au nord-ouest de Lyon. « Un vieux quartier ouvrier en pleine rénovation. Un mélange improbable de genres. » Et au milieu de ces gens, Susanna, celle qui a grandi ici, « enfant mutique, adolescente intraitable », qui est partie à Paris, qui est devenue artiste plasticienne, et qui revient vendre la maison des parents, quitter à jamais ces lieux. Une de ses installations d’art contemporain a les honneurs d’une exposition au cœur de l’usine qui licencie : est-ce un hommage ou une trahison ?
Dominique Paravel, se mettant avec beaucoup d’humanité dans les pas de personnages à la fois surprenants et issus du quotidien le plus banal, raconte à quel point la solitude envahit cette société où nous sommes pourtant censés communiquer en permanence. En fait de communication, la brutalité, le contrôle, le vide ont remplacé le dialogue, l’écoute, la convivialité. Heureusement, semble-t-elle dire, les rêves et l’art échappent à la grande faucheuse de la mondialisation. Et encore…
Yannick Haenel
Même constat terrifiant chez Yannick Haenel : « On veut nous faire croire que le travail est la seule façon d’exister, alors qu’il ruine les existences qui s’y soumettent. » Jean Deichel, son anti-héros, « ce type de quarante-trois ans taciturne qui touche les Assedic et n’en fait socialement qu’à sa tête », a décidé de se mettre en marge de la société et de s’installer dans une R18 break. Là, chaque fois qu’il entre dans la voiture, « quelque chose se libère », un sentiment de légèreté, ce qu’il appelle « l’intervalle ». Ça lui va bien.
Peu à peu, son désœuvrement prend la forme « d’un refus tranquille » : il préfère « vivre à l’écart, avec peu d’argent, sans rien devoir à personne. » Mais l’ermite de la R18 reste au cœur de la cité, les humains l’entourent : des piliers de bistrot, les éboueurs du petit matin… e
t les Renards pâles, un groupe de sans-papiers masqués qui porte le nom du dieu anarchiste des Dogon du Mali, groupe qui défie l’ordre établi en France. Roman très ambitieux, politique au sens noble du terme, parfois trop insistant dans son message (ce qui nuit à la fiction), « Les Renards pâles » est un hymne à l’engagement, une gifle au prêt-à-penser économique et social. La promesse d’une prochaine révolution.
LIRE « Uniques », Dominique Paravel, Serge Safran éditeur, 168 p., 15 €.
« Les Renards pâles », Yannick Haenel, éditions Gallimard, 176 p., 16,90 €.

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