Dominique Paravel |
Madame Guarcino, « est devenue encombrante pour tout
le monde ». Alors, elle se venge à sa manière en mettant un rien de
désordre dans le supermarché où elle fait ses courses. C’est sa révolte à elle,
qui ne peut plus vivre décemment avec la pension de réversion de son mari. Elle
n’est pas la seule à prendre de plein fouet la violence de notre époque :
Angèle s’épuise à vendre des forfaits téléphoniques, harcelée par son
superviseur ; la petite Violette se fait traiter de pauvre par ses
« camarades » d’école ; Jean-Albert se détruit en détruisant
d’autres existences, celles qu’il licencie pour le compte de sa
multinationale ; Élisée se crève à transporter des « âmes
assoupies » à bord de son bus. Ils sont si nombreux, une multitude, dont
la fatigue, physique, nerveuse, morale, leur « tord les reins ». Ce
sont les habitants de la rue Pareille, à Vaise, au nord-ouest de Lyon.
« Un vieux quartier ouvrier en pleine rénovation. Un mélange
improbable de genres. » Et au milieu de ces gens, Susanna, celle qui a
grandi ici, « enfant mutique, adolescente intraitable », qui est
partie à Paris, qui est devenue artiste plasticienne, et qui revient vendre la
maison des parents, quitter à jamais ces lieux. Une de ses installations d’art
contemporain a les honneurs d’une exposition au cœur de l’usine qui
licencie : est-ce un hommage ou une trahison ?
Dominique Paravel, se mettant avec beaucoup d’humanité
dans les pas de personnages à la fois surprenants et issus du quotidien le plus
banal, raconte à quel point la solitude envahit cette société où nous sommes
pourtant censés communiquer en permanence. En fait de communication, la brutalité,
le contrôle, le vide ont remplacé le dialogue, l’écoute, la convivialité.
Heureusement, semble-t-elle dire, les rêves et l’art échappent à la grande
faucheuse de la mondialisation. Et encore…
Yannick Haenel |
Même constat terrifiant chez Yannick Haenel :
« On veut nous faire croire que le travail est la seule façon d’exister,
alors qu’il ruine les existences qui s’y soumettent. » Jean Deichel, son
anti-héros, « ce type de quarante-trois ans taciturne qui touche les
Assedic et n’en fait socialement qu’à sa tête », a décidé de se mettre en
marge de la société et de s’installer dans une R18 break. Là, chaque fois qu’il
entre dans la voiture, « quelque chose se libère », un sentiment de
légèreté, ce qu’il appelle « l’intervalle ». Ça lui va bien.
Peu à peu, son désœuvrement prend la forme « d’un
refus tranquille » : il préfère « vivre à l’écart, avec peu
d’argent, sans rien devoir à personne. » Mais l’ermite de la R18 reste au
cœur de la cité, les humains l’entourent : des piliers de bistrot, les
éboueurs du petit matin… e
t les Renards pâles, un groupe de sans-papiers
masqués qui porte le nom du dieu anarchiste des Dogon du Mali, groupe qui défie
l’ordre établi en France. Roman très ambitieux, politique au sens noble du
terme, parfois trop insistant dans son message (ce qui nuit à la fiction),
« Les Renards pâles » est un hymne à l’engagement, une gifle au
prêt-à-penser économique et social. La promesse d’une prochaine révolution.
LIRE
« Uniques », Dominique Paravel, Serge Safran éditeur, 168 p., 15 €.
« Les Renards pâles », Yannick Haenel, éditions
Gallimard, 176 p., 16,90 €.
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