Rechercher dans ce blog

vendredi 5 septembre 2014

Elles ont osé larguer les amarres


Laurence Tardieu

On peut avoir le sentiment que plus rien ne s’emboîte dans son existence, on peut entrer par hasard, seule et triste, dans un musée… et être foudroyé par des photographies. La vie est aussi simple et brutale que cela. Laurence Tardieu se remettait sans se remettre de la publication de son précédent roman (« La Confusion des peines » et sa conséquence : la rupture avec sa famille), l’écriture l’avait fuie, ses amours et son cœur en général étaient en ruines. Et là, au musée du Jeu de Paume à Paris, face aux images de Diane Arbus (1923-1971), elle reconnaît une sœur de larmes, de combat et de lumière. Toutes les deux, issues de familles de la haute bourgeoisie, Diane à New York, Laurence dans le très chic XVIème arrondissement de Paris, ont tourné le dos à leur milieu. Diane Arbus, aujourd’hui célèbre pour ses portraits si troublants de personnages hors-normes, travestis, transsexuels, handicapés mentaux, nains, « phénomènes de foire », a férocement lutté pour imposer son regard. Laurence, remontant ses souvenirs et son chemin d’écrivain, reconnaît chez Diane la même manière d’avancer qu’elle : « aller où on ne sait pas, aller où on a peur, alors même qu’on a si peur, comme si quelqu’un nous poussait dans le dos, nous poussait… Chercher, chercher toujours plus loin. Comprendre. Il y a tant à comprendre, à comprendre de l’intérieur. C’est sans fin. » Créer, c’est la voie qu’elles ont choisi, qu’elles ont assumé, la « seule véritable colonne vertébrale ». Un récit d’une formidable intensité, écrit avec les dents et les tripes, et c’est comme ça qu’on les aime.
Claudie Hunzinger
ZsaZsa, l’héroïne de « La langue des oiseaux », le nouveau roman de Claudie Hunzinger, vient également de larguer les amarres. À quarante-trois ans, elle quitte son « milieu » (le Paris bobo), son compagnon, son confort, ses certitudes. Elle vient de publier un premier roman, elle se sent « une audace inconnue, de somnambule », elle a de quoi vivre un an dans une baraque sur le versant lorrain des Vosges. Il y a le premier choc du silence, trop, « j’ai serré mon poing, m’exhortant, tu as bien fait de partir, tu as bien fait ! ». Et le climat, terrible. Et la solitude, rompue par la lecture, les mille bruissements de la nature, c’est fou ce qu’une forêt peut être fréquentée… et par Sayo, une mystérieuse jeune japonaise installée au Havre (pourquoi ? quel drame se cache derrière cet exil ?) et qui vend sur eBay, pour survivre, de sublimes de la marque Comme des Garçons. À chaque vente, Sayo publie un poème étrange et adorable, petites phrases qui séduisent ZsaZsa au point de contacter la jeune vendeuse via Internet. Une correspondance s’installe, faite de hauts et de bas. Jusqu’au jour où Sayo, traquée par son passé, déboule dans les Vosges…
Claudie Hunzinger tresse les fils d’une intrigue improbable, et finalement si attachante, pour se confesser en toute pudeur. Ses romans semblent de moins en moins autobiographiques et en disent peut-être davantage, sur ce qui fait d’elle une femme engagée et sur sa vie qu’elle empoigne, acharnée. C’est d’une grande force
LIRE « Une vie à soi », Laurence Tardieu, éd. Flammarion, 192 p., 18 €.
« La langue des oiseaux », Claudie Hunzinger, éd. Grasset, 270 p., 18 €. À signaler la parution en poche du précédent roman de Claudie Hunzinger, "La Survivance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire