Laurence Tardieu |
On peut avoir le sentiment que plus rien ne s’emboîte dans
son existence, on peut entrer par hasard, seule et triste, dans un musée… et
être foudroyé par des photographies. La vie est aussi simple et brutale que
cela. Laurence Tardieu se remettait sans se remettre de la publication de son
précédent roman (« La Confusion des peines » et sa conséquence :
la rupture avec sa famille), l’écriture l’avait fuie, ses amours et son cœur en
général étaient en ruines. Et là, au musée du Jeu de Paume à Paris, face aux
images de Diane Arbus (1923-1971), elle reconnaît une sœur de larmes, de combat
et de lumière. Toutes les deux, issues de familles de la haute bourgeoisie,
Diane à New York, Laurence dans le très chic XVIème arrondissement de Paris, ont
tourné le dos à leur milieu. Diane Arbus, aujourd’hui célèbre pour ses portraits
si troublants de personnages hors-normes, travestis, transsexuels, handicapés
mentaux, nains, « phénomènes de foire », a férocement lutté pour
imposer son regard. Laurence, remontant ses souvenirs et son chemin d’écrivain,
reconnaît chez Diane la même manière d’avancer qu’elle : « aller où
on ne sait pas, aller où on a peur, alors même qu’on a si peur, comme si
quelqu’un nous poussait dans le dos, nous poussait… Chercher, chercher toujours
plus loin. Comprendre. Il y a tant à comprendre, à comprendre de l’intérieur.
C’est sans fin. » Créer, c’est la voie qu’elles ont choisi, qu’elles ont
assumé, la « seule véritable colonne vertébrale ». Un récit d’une
formidable intensité, écrit avec les dents et les tripes, et c’est comme ça
qu’on les aime.
Claudie Hunzinger |
ZsaZsa, l’héroïne de « La langue des oiseaux »,
le nouveau roman de Claudie Hunzinger, vient également de larguer les amarres.
À quarante-trois ans, elle quitte son « milieu » (le Paris bobo), son
compagnon, son confort, ses certitudes. Elle vient de publier un premier roman,
elle se sent « une audace inconnue, de somnambule », elle a de quoi
vivre un an dans une baraque sur le versant lorrain des Vosges. Il y a le
premier choc du silence, trop, « j’ai serré mon poing, m’exhortant, tu as
bien fait de partir, tu as bien fait ! ». Et le climat, terrible. Et
la solitude, rompue par la lecture, les mille bruissements de la nature, c’est
fou ce qu’une forêt peut être fréquentée… et par Sayo, une mystérieuse jeune
japonaise installée au Havre (pourquoi ? quel drame se cache derrière cet
exil ?) et qui vend sur eBay, pour survivre, de sublimes de la marque
Comme des Garçons. À chaque vente, Sayo publie un poème étrange et adorable,
petites phrases qui séduisent ZsaZsa au point de contacter la jeune vendeuse
via Internet. Une correspondance s’installe, faite de hauts et de bas. Jusqu’au
jour où Sayo, traquée par son passé, déboule dans les Vosges…
Claudie Hunzinger tresse les fils d’une intrigue
improbable, et finalement si attachante, pour se confesser en toute pudeur. Ses
romans semblent de moins en moins autobiographiques et en disent peut-être
davantage, sur ce qui fait d’elle une femme engagée et sur sa vie qu’elle
empoigne, acharnée. C’est d’une grande
force
LIRE
« Une vie à soi », Laurence Tardieu, éd. Flammarion, 192 p., 18 €.
« La langue des oiseaux », Claudie Hunzinger,
éd. Grasset, 270 p., 18 €. À signaler la parution en poche du précédent roman
de Claudie Hunzinger, "La Survivance.
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