Il
est de ces livres explosifs qu’il fallait brûler tant leur contenu dérangeait :
c’est ce que firent les nazis avec « Jeunes de rue à Berlin » de
Ernst Haffner en 1932. Ce texte reparaît aujourd’hui sous le titre « Entre
frères de sang », un roman aux accents de témoignage écrit par un
journaliste, sans doute aussi travailleur social, qui vécut à Berlin de 1925 à
1933, dont la trace se perd ensuite. Victime du marasme économique que
connaissait alors l’Allemagne, une bande d’adolescents – orphelins, échappés de
foyers ou mis à la porte par leurs géniteurs – vit dans la misère absolue,
focalisée sur la quête d’argent et d’un abri où passer la nuit. L’union fait la
force quand on vit de la criminalité et de la prostitution : on devient
frères de sang. C’est ce Berlin méconnu que décrit magistralement Haffner à
travers les portraits de ces garçons mués par une incroyable faim de vivre et
de jouir.
LIRE « Entre
frères de sang », Ernst Haffner, éd. Presses de la cité, 270 p., 20 €.
Cet auteur-là a été touché par la grâce de l’écriture et
de la poésie : le pakistanais Bilal Tanweer signe un premier roman d’une
fraîcheur rare et noire avec « Le monde n’a pas de fin ». À Karachi,
sa ville où sourd l’angoisse permanente de l’attentat, se croisent des destins
de personnages appelés à se retrouver au fil du temps, entre réalité et
fantasme, fragments de la vie d’une ville : « Les histoires vraies
sont parcellaires. Tout ce qui est plus long est un mensonge, une fabrication »,
assure l’un des personnages. Qu’ils soient un fils et son père montés en bus
pour la mer, deux écoliers en goguette, un caïd qui truande des voitures payées
à crédit, un infirmier traumatisé par la vision du diable, un peintre un peu
fou ou un poète marginal, ils touchent par leur humanité, à la limite du conte,
dessinant le portrait reconstitué – un morceau, deux morceaux… - d’une ville
intranquille, bruyante et attachante.
LIRE « Le
monde n’a pas de fin », Bilal Tanweer, éd. Stock, 202 p., 19 €.
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