Elle s’appelait Charlotte Salomon, gazée en octobre 1943
dès son arrivée à Auschwitz. Elle était enceinte, elle n’avait que vingt-six
ans. Elle ne demandait qu’à peindre,
« devant certains tableaux, son cœur bat comme pour un amour. » Elle
ne demandait qu’à être heureuse, mais ça, ce n’était pas gagné, sa famille
était ravagée par une épidémie de suicides. Autant de morts, dont celui de sa
mère, qu’on cachait à Charlotte. Elle sentait bien que quelque chose n’allait
pas, cette mélancolie qui habitait sa grand-mère, sa difficulté à elle à
s’ouvrir aux autres, elle qui peut « sourire et souffrir en même
temps ».
Adolescente, elle fait deux rencontres
déterminantes : Paula, sa nouvelle belle-mère, une célèbre cantatrice qui
l’aide à oser aller de l’avant. Et, surtout, Alfred Wolfsohn, le professeur de
chant de Paula, un oiseau déglingué mais pétri de talent, qui deviendra son
mentor, son tourment amoureux, son obsession.
Charlotte voudrait dessiner et aimer, et que rien d’autre
ne compte. Mais elle est juive, elle et les siens n’ont bientôt plus le droit
de rien dans l’Allemagne nazie. Son père ne peut plus exercer la médecine,
Paula ne peut plus se produire, Charlotte remporte le concours – anonyme – de
fin d’année aux Beaux-Arts… mais on ne lui décerne pas le prix, impossible, une
juive ne peut pas être la meilleure. Le désastre s’accélère : son père est
interné pendant quelques mois, il revient détruit. La famille décide d’éloigner
Charlotte dans le sud de la France, à Villefranche-sur-Mer, là où les grands-parents
sont déjà à l’abri, croit-on. La grand-mère meurt, le grand-père et Charlotte
sont internés dans un camp (français !), puis miraculeusement libérés. De
retour à Villefranche, Charlotte a peut-être le pressentiment de la fin et se
met à peindre en quelques mois des centaines de dessins et de gouaches, une
autobiographie unique dans son genre qu’elle intitule « Leben ? Oder
Theater ? ». Une œuvre qu’elle aura le temps de confier à un ami,
avant qu’elle ne soit raflée en compagnie de son nouveau compagnon par les
sbires de l’immonde Aloïs Brunner. Direction Drancy. On connaît la suite…
Depuis des années, David Foenkinos était attiré par
l’Allemagne, sans vraiment savoir pourquoi. Jusqu’à tomber par hasard sur
l’œuvre de Charlotte Salomon. « Tout était là. Dans un éclat de couleurs
vives. » Il n’a cessé d’essayer d’écrire le livre de cette vie. Mais il
n’y arrivait pas. « Impossible d’avancer. C’était une sensation physique,
une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour
respirer. »
Alors ? « Alors, j’ai compris qu’il fallait
l’écrire ainsi. » Un roman en vers libres. Une forme originale, qui peut
susciter l’embarras (peut-on traiter de la Shoah en usant d’un exercice de
style ?), qui agace à certains moments (quand l’auteur nous raconte son
enquête, et quelques anecdotes superflues). Mais qui, au final, emporte
l’adhésion par le culot de l’entreprise, la pudeur élégante des mots choisis,
par la fascination émue, fiévreuse de l’auteur pour son sujet. Que le lecteur
partage. Chaque roman devrait rendre justice à une voix perdue. C’est ici chose
faite.
LIRE
« Charlotte », David Foenkinos, éd. Gallimard, 224 p., 18,50 €.
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