Gandhi ? Assassiné par un hindouiste nationaliste. Anouar el-Sadate ? Tué par un musulman égyptien. Yitzhak Rabin ? Abattu par un juif israélien. Ce ne sont que trois exemples, mais ils ouvrent de manière éclatante la démonstration de Russell Jacoby sur les vrais « ressorts de la violence » : les assassins de ces trois semeurs de paix venaient du même pays, de la même religion qu’eux. Oui, depuis le meurtre originel, celui d’Abel par son frère Caïn, l’ennemi vient le plus souvent de l’intérieur : c’est là, contrairement aux idées reçues, que réside la véritable menace.
Et les exemples sont infinis : la guerre de
Sécession (1861-1865) a causé bien plus de morts aux États-Unis que tous les
autres conflits impliquant le pays ; les juifs allemands exterminés durant
la Seconde Guerre mondiale étaient parfaitement intégrés dans la société, ni
étrangers, ni marginaux ; à Jewabne, un petit village du nord-est de la
Pologne, où « tout le monde s’appelait par son prénom », une moitié
du village a soudain tué l’autre (la population juive) un jour de l’été
1941 ; au XVIème siècle, « les catholiques français honnissaient les
protestants français, pas les Turcs musulmans »… avec pour résultat
l’effarant massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572 où « les tueurs
connaissaient leurs victimes. […] La proximité n’engendra pas de la tendresse,
mais de la rage. »
Russell Jacoby rappelle l’hystérie collective qui s’est
emparée des États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. On agitait le
drapeau rouge du péril musulman alors que, parallèlement, « 17 000
homicides étaient commis à travers le pays pour la seule année 2005. » Et
les violences domestiques, commises par les proches des victimes, sont au premier
rang des statistiques. Il est utile de le rappeler : « Le citoyen inquiet
[…] aura davantage de chances d’être agressé ou tué dans sa cuisine par une
connaissance que dans un parking par un parfait étranger. »
Russell Jacoby |
Le danger ne vient donc pas d’abord de
« l’autre », celui qui aurait une autre couleur de peau, une autre
religion, d’autres modes de vie, mais bien de ceux qui nous côtoient. Russell
Jacoby n’est pas le premier à le démontrer. C’est un Français, René Girard, qui
le premier a soulevé ce paradoxe : ce ne sont pas les différences qui
jettent les humains les uns contre les autres, mais au contraire leurs
ressemblances.
Russel Jacoby, s’appuyant sur de multiples références
historiques et littéraires (mais son essai, pour être érudit, n’en reste pas
moins accessible à tous), prolonge les intuitions de René Girard. Ainsi, pour
lui, l’incompréhension actuelle du monde occidental avec le monde musulman n’a
rien à voir avec le fameux « choc des civilisations », cet étendard
brandi par les politiciens populistes. Ce serait, au contraire, parce que ces
deux mondes se rapprochent, que cette
nouvelle proximité devient préoccupante. Ces nouveaux « voisins », de
plus en plus comme nous et en même temps toujours différents, sont pointés du
doigt, alors que quand ils restaient « sagement » au loin,
« chez eux », ils ne nous embêtaient pas. La tentation est alors
grande – et la pente si facile – d’en faire les boucs émissaires de tous nos
malheurs…
LIRE
« Les ressorts de la violence », Russell Jacoby, éditions Belfond,
294 p., 19 €.
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