Hiver 1992, Amélie Nothomb faisait sensation avec son remarquable premier roman « Hygiène de l’assassin », le face-à-face épique entre une jeune femme et un écrivain retors. Hiver 2014 : Julia Kerninon, au même âge qu’Amélie Nothomb (27 ans), fait une entrée fracassante sur la scène littéraire avec le même sujet, mais avec un couple inversé : Lou, un jeune étudiant rencontre le temps d’un été Caroline N. Spacek, 39 ans, une romancière qui a connu une gloire précoce et scandaleuse, et qui vit recluse dans la campagne anglaise.
Julia Kerninon |
Pourquoi cette dernière a-t-elle accepté de recevoir
Lou ? Pourquoi un dialogue prévu pour durer quelques jours va-t-il
s’éterniser durant des semaines ? Quel est le lien, si profond, déchirant,
qui unit ces deux êtres ? Tous deux ont été comme arrachés à des enfances
misérables, et « recueillis » par des êtres d’exception. Lou est
fasciné par cette « femme, avec tout ce que ça pouvait supposer en matière
de fragilité, mais aussi une combattante. » Quelqu’un qui avait dû
attendre d’avoir dix-huit ans pour voir pour la première fois un adulte avec
toutes ses dents. Quelqu’un qui avait écrit ses premières nouvelles en volant
des heures de sommeil après son boulot de serveuse dans un bouge minable.
« Je tapais sur ma la machine [à écrire] parce que je ne savais pas
comment taper sur moi » confie-t-elle à Lou.
Julia Kerninon réussit le tour de force, au-delà de la
confrontation bouleversante entre ces deux personnages si meurtris, qui ne
savent que maladroitement donner et recevoir de la consolation, de créer de
toutes pièces l’univers d’un écrivain. Elle nous met sur la table l’œuvre
entière de Caroline N. Spacek, c’est plus vrai que nature, ce sont d’ailleurs
des livres qu’on rêverait de dévorer. Commençons par le sien, c’est la moindre
des choses.
Été torride aussi chez Manuel Candré, été terrible à R.,
une station balnéaire entre océan et désert, déglinguée, où quatre amis, Joao,
Lucio, Mayo et M., meurent de chaleur (et de bien d’autres choses encore) en
s’adonnant à de vains rituels : boire des bières et enfourner des fritures
de poulpes au Zanzibar, leur bar d’attache, s’adonner à des parties de I.Go (un
jeu créé par le romancier J.G. Ballard), s’offrir une virée dans la Cadillac de
Mayo, partir à la chasse aux raies des sables. S’enfoncer dans le désert pour
s’y étourdir de mirages.
Manuel Candré |
Le ciel, la mer et le sable amènent les hommes et les
machines au bout de leurs forces : Joao disparaît (mais est-il
mort ?), Lucio s’enfonce dans la dépression, M. ne parvient pas à écrire. La
vie trébuche dans le souvenir d’une femme, la mystérieuse L. On se dilue dans
l’espace, le temps hoquète, chaque volonté devient un combat (perdu
d’avance ?). Manuel Candré, équilibriste poétique, joue d’un univers
mi-réaliste, mi-absurde, mi-fantastique (oui, je sais, c’est étrange, mais
c’est ainsi). Un hommage à J.G. Ballard, on l’a dit, mais qui rappelle aussi Marguerite
Duras (et ses « Petits chevaux de Tarquinia) ou Boris Vian. Baroque et
triste.
LIRE
« buvard », Julia Kerninon, éd. du Rouergue, 208 p., 18,80 €.
« Le portique du front de mer », Manuel Candré,
éd. Joëlle Losfeld, 160 p., 15,90 €.
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