De quoi parle-t-il au juste ? Pourquoi Julian Barnes
nous raconte-t-il la vie de Félix Tournachon, alias Nadar, 1820-1910, qui fut le premier à réaliser des clichés
photographiques depuis un ballon, et qui, ça n’a rien à voir, fut « le
genre de mari dont les infidélités coexistaient avec une extrême dévotion à sa
femme » ? Pourquoi, dans un second temps, nous relate-t-il l’idylle
aussi charmante qu’extravagante entre la comédienne Sarah Bernhardt, 1844-1923,
qui aimait à s’envoyer en l’air en ballon de temps à autre, et le colonel Fred
Burnaby, un officier britannique, droit dans ses bottes et romantique en
diable ?
Julian Barnes |
Et puis, soudain, tout fait sens. Julian Barnes nous
parlait jusque-là d’élévation, élévation dans l’espace (les ballons), élévation
des cœurs (l’amour) pour contenir, endiguer, canaliser le chagrin qui le
pétrifie depuis la disparition de son épouse. Page 78 : « Nous avons
vécu ensemble pendant trente ans. J’en avais trente-deux quand nous nous
sommes rencontrés, soixante-deux quand elle est morte. Le cœur de ma
vie ; la vie de mon cœur. » Julian Barnes songeait tranquillement au
reste de leur vie ensemble. « Au lieu de tout cela, d’un été à l’automne,
ce fut l’inquiétude, l’anxiété, la peur, la terreur. Trente-sept jours entre le
diagnostic et la mort. »
Depuis, il essaie de tenir debout, entre les conseils
plus ou moins avisés des amis et le ressentiment face aux « gens dans les
bus qui rentrent simplement chez eux après leur journée de travail. » Il
apprend, paradoxalement, à chérir la souffrance : « La douleur montre
qu’on n’a pas oublié ; la douleur relève le goût du souvenir ; la
douleur est une preuve d’amour. » Mais il y a tant de pièges et de dangers
dans le deuil (« Apitoiement sur soi, tendance à l’isolement, mépris du
monde, sentiment égotiste que son malheur est exceptionnel ») qu’il lui
est devenu vital de s’ouvrir à ceux qui ont cherché, tant bien que mal, plus ou
moins maladroitement, à s’élever, par les sentiments, par les sensations, par
la technologie, par la création. L’art de rebondir après être « tombé de la
plus grande hauteur. »
Fabio Viscogliosi |
Si Julian Barnes fait dans la verticalité, Fabio
Viscogliosi choisit l’horizontalité pour se reconstruire. Il a perdu ses
parents dans un accident sous le tunnel du Mont-Blanc, c’est par la route que
son chemin de croix (du deuil) s’est fait chemin de choix (la joie retrouvée).
Choisir de vivre, choisir d’avancer, choisir d’ouvrir les yeux et de dévorer le
monde en père peinard. Il nous livre une sorte d’anti-guide de voyage, libéré
des conseils paresseux, associant la flânerie à la rêverie et à une douce
ironie : « Avancer au gré des découvertes qui se présentent à nous,
par hasard, de la même manière que l’on pousse un caillou ou que l’on ramasse
un vieux ticket de cinéma sur le bord d’un trottoir », ces « petits
bouts de choses égarés dans le paysage […] qui n’ont de valeur que l’attention
qu’on leur prête, et cette attention
varie, en fonction de notre humeur, de la météo, et tout simplement de
l’énergie qui circule modestement dans nos veines. » Une philosophie de la
« pente naturelle » en 110 fragments. Un bonheur.
LIRE
« Quand tout est déjà arrivé », Julian Barnes, éd. Mercure de France,
130 p., 15,50 €.
« Apologie du slow, Fabio Viscogliosi, éd. Stock,
272 p., 19 €.
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