Ce sont sept pages, les premières du livre, sept pages de pure folie, folie des personnages, folie des situations, dans lesquelles le lecteur est comme jeté dans l’océan des émotions en pleine tempête, qui sont ces gens ? que leur arrive-t-il ? et, surtout, pourquoi la réalité est-elle en train de m’échapper ? Le roman s’ouvre, Boy, le héros, est blessé lors d’une bataille au Tonkin en 1951. Il recoud la plaie lui-même. L’horreur. Deux autres combattants le rejoignent, un blond et un Noir. Là, ils s’aperçoivent que Boy… est une fille. Le lecteur, lui, s’aperçoit que nous ne sommes pas au Tonkin, mais en banlieue parisienne… C’était un jeu, mais quel jeu : la blessure de Boy est bien réelle, Boy s’est réellement recousue elle-même. Quelque chose a dérapé, Boy « est triste. Les histoires lui échappent. Elle ne parvient pas à les tenir. À les faire marcher droit. »
Richard Morgiève |
Ça ne va plus cesser. Cette façon de faire marcher cette
histoire de travers pour nous amener au plus intime d’hommes et de femmes
malmenés par la vie, brisés par la violence de notre époque. « Boy »,
le nouveau roman de Richard Morgiève, est une gifle salutaire assénée à cette
insupportable littérature du « vivre ensemble », qui voudrait nous
faire croire que les cicatrices se referment à jamais avec une épaisse couche
de bons sentiments. Non, trop facile. « Boy », c’est
l’anti-« Billie » d’Anna Gavalda. Dans les deux livres, une jeune
fille aux prises avec le désastre de son existence, mais le roman le plus
« vrai » n’est pas celui qu’on croit. Là où « Billie » nous
entraînait dans un décor soi-disant réaliste pour nous expliquer la vie avec
une rare niaiserie, « Boy » nous transporte dans un univers
hyperréaliste, baroque et kitsch en diable, une symphonie en pessimisme majeur,
où la noirceur du décor rend justice, par contraste, à la lumière des « exclus
du système » que Richard Morgiève met en scène.
« Boy », c’est un monde en lambeaux. Où le pire
est peut-être que les gens ne sont plus vus pour ce qu’ils sont, mais pour ce
qu’ils donnent à voir d’eux-mêmes. Le virtuel contamine le visible, l’avatar se
fait humain, le stéréotype se fait vérité. « Boy » pourrait se lire
comme la métaphore de ces réseaux dits « sociaux » et qui génèrent
cruauté, cynisme et mensonge. « Boy », le roman, est un étourdissant
ballet de personnages, à la fois modernes et comme sortis d’un roman de Zola,
et où rôde l’ombre maléfique de Bill, « le hacker de la mort ».
Boy, l’héroïne, c’est une fille en miettes. Saturée de
douleur, d’échec. Elle « voudrait être un gisant, un souvenir, mais pas
elle. » Elle pense que« se distraire, c’est tout ce qui reste aux
hommes ordinaires ». Elle qui ne sourit plus souvent, affairée à soigner
son père grabataire, à canaliser cette colère qui ne la quitte plus, à chercher
un amour forcément absolu, trop grand, trop fort, qui la sauverait de tout,
« la joie furieuse qu’elle a de vivre ». Car c’est bien cela que nous
offre Richard Morgiève : un magnifique, mais déstabilisant, mais
éprouvant, roman d’amour. Ou plutôt un roman de feu : un embrasement, un
incendie, une passion. Avec un goût de cendres dans la bouche.
LIRE
« Boy », Richard Morgiève, éditions carnets nord, 286 p., 18 €.
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