Les grands espaces ramènent à l’intimité. En compagnie de
son épouse (qui conduit le camping-car qui le suit), Bernard Chambaz traverse
les États-Unis à vélo pour, en quelque sorte, repartir à la rencontre de
Martin, son fils, mort sur une route du Pays de Galles le 11 juillet 1992.
Depuis « Martin cet été » en 1994, il n’a jamais cessé d’écrire sur
son enfant, mais « de biais ». Aujourd’hui, il y revient « de
front ». Pourquoi à vélo ? Parce que Bernard était à vélo quand il a
appris l’accident. Parce que père et fils ont roulé parfois ensemble le dernier
été. Parce que « rouler, c’est aller de l’avant. Tant que l’on pédale, on
est encore vivant. »
Pourquoi les États-Unis ? Parce que les Chambaz avaient
déjà effectué la traversée avec leurs enfants, tout un été, arpentant la terre
des ancêtres de la famille. Road-movie en clair-obscur, ces « Dernières
nouvelles du martin-pêcheur » alternent le récit d’un deuil impossible et la
chronique de ces rencontres banales, improbables ou extraordinaires qui font le
sel d’une telle odyssée. Les plus beaux moments étant peut-être ceux où Bernard
Chambaz « convoque » d’autres parents
« orphelins » : Robert Plant, le leader de Led Zeppelin, les
Roosevelt, les Lindbergh… ou Debbie, cette maman qui fait vieillir sur les
photos son fils mort d’overdose… Autant d’évocations pour ramener le souffle,
la légèreté, la gaieté d’un enfant, Martin, qui, lui, n’aura pas eu le droit de
vieillir.
Poignante mélancolie, aussi, dans « L’Homme qui
marche », le nouveau roman d’Yves Bichet. Vêtu de son pauvre anorak, son
héros, Robert Coublevie, arpente inlassablement la frontière Italie-France, les
mêmes crêtes, les mêmes cols. Là-haut, ce « marcheur d’un seul
chemin », accompagné d’Élia, une petite chienne, ressasse : il se
remet sans se remettre du départ de sa femme avec son prof de gym cinq ans plus
tôt. Perdu dans les ténèbres de son quotidien, le randonneur se nourrit de la
lumière des montagnes, faune et flores sublimes, et de rares rencontres, dont
celle du chartreux Jean, « un vieux cureton noueux rempli d’illusions et
d’espérance ».
Yves Bichet |
« Reçois qui tu deviens », cette phrase, Robert
la tient justement du curé. Il en a fait une ligne de vie, qui pourrait se
traduire par : assume tes actes, et même ceux des autres. Et s’il le faut
tu iras en prison pour ça. Ah oui, la prison. Car Robert, tout marginal qu’il
est, redescend parfois parmi les hommes, en ville, au café du Nord notamment où
Sylvain, le patron, lui sert « son » blanc limé. Et la vie de Robert
est partie en sucette au café du Nord, tout ça pour avoir endossé le costume de
gentleman des causes perdues pour venir en aide à Camille, 16 ans, la fille du
patron et, au passage, la vénéneuse attraction du troquet…
C’est ça Robert Coublevie : celui qui s’extasie
devant des perce-neiges, et celui qui s’étiole, perclus de douleurs, en
cellule ; celui qui n’attend plus rien de l’existence et celui qui
continue à « aimer l’amour ». Un paysage à lui tout seul, magnifié
par le style poétique et cabochard d’Yves Bichet. Du rustique qui vous mettrait
la larme à l’œil.
LIRE
« Dernières nouvelles du martin-pêcheur », Bernard Chambaz, éditions
Flammarion, 304 p., 19 €.
« L’homme qui marche », Yves Bichet, éditions
Mercure de France, 176 p., 16,50 €.
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