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vendredi 10 janvier 2014

La poésie des arpenteurs magnifiques




Les grands espaces ramènent à l’intimité. En compagnie de son épouse (qui conduit le camping-car qui le suit), Bernard Chambaz traverse les États-Unis à vélo pour, en quelque sorte, repartir à la rencontre de Martin, son fils, mort sur une route du Pays de Galles le 11 juillet 1992. Depuis « Martin cet été » en 1994, il n’a jamais cessé d’écrire sur son enfant, mais « de biais ». Aujourd’hui, il y revient « de front ». Pourquoi à vélo ? Parce que Bernard était à vélo quand il a appris l’accident. Parce que père et fils ont roulé parfois ensemble le dernier été. Parce que « rouler, c’est aller de l’avant. Tant que l’on pédale, on est encore vivant. »
Pourquoi les États-Unis ? Parce que les Chambaz avaient déjà effectué la traversée avec leurs enfants, tout un été, arpentant la terre des ancêtres de la famille. Road-movie en clair-obscur, ces « Dernières nouvelles du martin-pêcheur » alternent le récit d’un deuil impossible et la chronique de ces rencontres banales, improbables ou extraordinaires qui font le sel d’une telle odyssée. Les plus beaux moments étant peut-être ceux où Bernard Chambaz « convoque » d’autres parents « orphelins » : Robert Plant, le leader de Led Zeppelin, les Roosevelt, les Lindbergh… ou Debbie, cette maman qui fait vieillir sur les photos son fils mort d’overdose… Autant d’évocations pour ramener le souffle, la légèreté, la gaieté d’un enfant, Martin, qui, lui, n’aura pas eu le droit de vieillir.
Poignante mélancolie, aussi, dans « L’Homme qui marche », le nouveau roman d’Yves Bichet. Vêtu de son pauvre anorak, son héros, Robert Coublevie, arpente inlassablement la frontière Italie-France, les mêmes crêtes, les mêmes cols. Là-haut, ce « marcheur d’un seul chemin », accompagné d’Élia, une petite chienne, ressasse : il se remet sans se remettre du départ de sa femme avec son prof de gym cinq ans plus tôt. Perdu dans les ténèbres de son quotidien, le randonneur se nourrit de la lumière des montagnes, faune et flores sublimes, et de rares rencontres, dont celle du chartreux Jean, « un vieux cureton noueux rempli d’illusions et d’espérance ».
Yves Bichet
« Reçois qui tu deviens », cette phrase, Robert la tient justement du curé. Il en a fait une ligne de vie, qui pourrait se traduire par : assume tes actes, et même ceux des autres. Et s’il le faut tu iras en prison pour ça. Ah oui, la prison. Car Robert, tout marginal qu’il est, redescend parfois parmi les hommes, en ville, au café du Nord notamment où Sylvain, le patron, lui sert « son » blanc limé. Et la vie de Robert est partie en sucette au café du Nord, tout ça pour avoir endossé le costume de gentleman des causes perdues pour venir en aide à Camille, 16 ans, la fille du patron et, au passage, la vénéneuse attraction du troquet…
C’est ça Robert Coublevie : celui qui s’extasie devant des perce-neiges, et celui qui s’étiole, perclus de douleurs, en cellule ; celui qui n’attend plus rien de l’existence et celui qui continue à « aimer l’amour ». Un paysage à lui tout seul, magnifié par le style poétique et cabochard d’Yves Bichet. Du rustique qui vous mettrait la larme à l’œil.
LIRE « Dernières nouvelles du martin-pêcheur », Bernard Chambaz, éditions Flammarion, 304 p., 19 €.
« L’homme qui marche », Yves Bichet, éditions Mercure de France, 176 p., 16,50 €.

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