« J’ai voulu tout dire, pour qu’il ne reste que les
secrets ». Tout dire sur la sexualité, sur sa sexualité, voilà le projet
annoncé par Arthur Dreyfus. Tout dire, surtout, sur l’enfance, l’adolescence,
ces années fragiles et impérieuses où l’on grandit entre des injonctions, des
bêtises, des normes et des questions, tant de questions. Arthur Dreyfus en sort
à peine, il a 27 ans, et semble avoir tous les talents : il a été ou est
encore mentaliste, comédien, réalisateur, journaliste, chroniqueur à la télé,
animateur de radio (« Encore heureux » sur France Inter de 16 h à 17
h du lundi au jeudi, c’est lui) ! Il en est à son troisième roman (après
les remarqués « La synthèse du camphre » et « Belle
Famille »), sans oublier « Le livre qui rend heureux », un essai
sur le bonheur devenu best-seller.
Arthur Dreyfus |
Livre « total » donc que cette « Histoire
de ma sexualité ». La recherche de l’exhaustivité autour d’un sujet. On
songe immédiatement à Georges Perec, celui du « Je me souviens », cet
enchaînement de souvenirs de la 10ème à
la 25ème année de l’auteur (de 1946 à 1961), et celui de « La Vie mode
d’emploi », roman qui racontait les habitants, les objets, les histoires
d’un immeuble parisien entre 1875 et 1975. L’anodin et l’essentiel rassemblés
en un catalogue d’allure hétéroclite, parfois futile, voilà ce qu’avait conçu
Perec. Voilà ce que reprend Arthur Dreyfus.
Alors, oui, sur 360 pages, il ne se passe rien, pas
d’intrigue, pas de personnages auxquels s’identifier, les codes traditionnels
du roman sont absents. On passe d’un fragment à l’autre, en une ligne ou en
trente, certains numérotés (des souvenirs autobiographiques, semble-t-il), ou des
citations de livres ou d’amis (aux pseudonymes charmants :
« Travesti », « Bien-Être », « Calembour le
Vieux », « Bord cadre », « Fou d’enfance », etc.), des
notations philosophiques ou foncièrement mélancoliques. Nous sommes au cœur des
années 2000, un peu avant et beaucoup après. À Lyon, puis à Paris. Devenir un
homme est toujours aussi difficile, surtout quand, en plus, il faut assumer sa
différence, s’avouer, se dire, et dire son homosexualité.
Au détour d’anecdotes grivoises, absurdes, étonnantes ou
banales, Arthur Dreyfus pose les questions fondamentales, fussent-elles
dérangeantes (« Qui a décidé, un jour, que les enfants seraient tenus
à l’écart du plaisir [l’orgasme] qui domine tous les autres ? »),
défriche, dans sa quête de vérité, « l’infinité des mensonges
possibles », enchante par de très beaux aphorismes
(« Malheureusement, le bien-être n’est pas une somme d’extase »). On
adore celui-ci : « La photographie, la cuisine, l’écriture, la pêche
à la ligne, l’amour : toutes ces disciplines où l’on ferre le
hasard. » On s’amusera aussi de la cruauté d’une scène savoureuse autour
du mot « orge » dans Le Petit Robert… (c’est page 164).
On se divertit, donc, on est d’abord un peu perplexe (cet
ensemble ne serait-il pas « trop » brillant, et donc vain ?),
puis on s’attache, on se passionne, fasciné, on est pris, on ne peut plus
lâcher ce livre unique.
LIRE
« Histoire de ma sexualité », Arthur Dreyfus, éditions Gallimard, 368
p., 21 €.
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