Il s’appelle Eddy, Eddy Bellegueule, mais sa famille
porte bien mal son nom : des affreux, sales et méchants dans un village de
Picardie, du Zola pour poser le décor. Le père, pas un mauvais bougre, boit,
aime la bagarre, et n’a plus de travail. La mère est « en colère »,
pour ne pas dire hystérique. Les fins de mois commencent en début de mois, et quand
y a plus rien, « on mange du lait ».
Edouard Louis |
Chez les Bellegueule, les hommes sont des
« durs ». Problème : Eddy a « des manières ». Eddy
n’aime pas cogner, il aime lire. Eddy n’aime pas draguer, « c’est toi le
pédé » lui assènent deux brutes du collège qui le tabassent jour après
jour. Mais il ne se plaint pas, il craint de faire du mal à sa mère,
« qu’un jour elle ne se mette à formuler toutes ces questions qu’elle
accumulait – malgré son silence – depuis des années »
En grandissant, Eddy va tout de même essayer de rentrer
dans le rang, par le foot, par les filles, par les cuites. Rien n’y fait. Il
aime les garçons, c’est pour de sûr. Et, suprême « trahison » à son
milieu : il réussit à l’école. À tel point qu’il va basculer de l’autre
côté, celui des bourgeois, ces lycéens bourgeois qui vont l’appeler Édouard
plutôt qu’Eddy, qui « s’embrassent pour se dire bonjour », qui
« ont des façons délicates », qui auraient tous « pu être
traités de pédés au collège. » Plus tard, à l’École normale supérieure, ce
sera encore plus visible : « ces corps féminins de la bourgeoisie
intellectuelle. »
Édouard Louis, l’auteur, sait visiblement de quoi il parle.
Lui aussi est passé par l’ENS. Ce jeune spécialiste de Bourdieu entre en
littérature avec l’aplomb et la dignité d’une vraie nouvelle voix. Son premier
roman aux accents autobiographiques résonne d’une tendresse parfois
insoutenable pour tous ses protagonistes, pour un texte aussi pudique,
maîtrisé, qu’estomaquant.
Julien Decoin |
Autre belle découverte avec Julien Decoin et « Un
truc sauvage », une fable impitoyable sur la dictature de l’apparence, sur
les rêves en toc. Ici aussi, il est question de cuites et d’adolescence
ébouriffée. Ils sont six et mènent la belle vie des lycéens. On embobine les
parents, on se cherche une sexualité, on se noie dans l’alcool, les cours sont
une vague préoccupation et, au-dessus de tout, il y a la musique. Le groupe.
Ce groupe, c’est une telle fusion. Ils ne sont pas les
meilleurs, mais, à eux six, ils ont quelque chose d’unique. Qui mériterait
mieux que les bars où ils jouent, acceptés du bout des lèvres. Par hasard
(vraiment ?), le narrateur, l’un des six, rencontre un « fou »
qui le guide vers une étrange agence de réussite, « Lapar »… où on
lui propose, ni plus ni moins, le bonheur assuré !
Il signe le contrat. Et ça fonctionne ! Soudain, tout
roule pour lui et pour le groupe. Les concerts notamment s’enchaînent devant
des publics de plus en plus nombreux. Jusqu’à ce que la belle mécanique se
grippe, irrémédiablement : le bonheur garanti par Lapar était un bonheur
de l’instant, une accumulation un peu vaine. Ce n’était pas une assurance sur
la vie. Sur l’être. Un seul ami vous manque, et tout est dépeuplé. Tout est
mort.
LIRE « En
finir avec Eddy Bellegueule », Édouard Louis, éd. du Seuil, 222 p., 17 €.
« Un truc sauvage », Julien Decoin, éd. du
Seuil, 264 p., 18 €.
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