Ils ne sont pas nombreux les écrivains à déplacer autant les foules que Toni Morrison. On a encore pu le vérifier durant le festival America qui réunissait une cinquantaine d’auteurs d’Amérique du nord le week-end dernier à Paris. Auréolée de son prix Nobel de littérature, traduite en 50 langues, la grande dame des lettres américaines raconte inlassablement l’histoire de la communauté noire. A 82 ans, se déplaçant en chaise roulante, elle reste incroyablement accessible. Chaleureuse, simple, précise.
Toni Morrison (photo: Mathieu Bourgois) |
Pouvez-vous
nous expliquer le titre de votre nouveau roman, « Home » ?
Ce n’est pas moi
qui l’ai choisi, c’est mon éditrice, mais j’en suis totalement satisfaite. Aux
Etats-Unis, tout le monde, à part les Indiens, vient d’ailleurs, et tout le
monde rêve avec nostalgie et envie de ce « Home », ce lieu
imaginaire, de cette utopie, l’endroit où vous êtes en sécurité et où tout le
monde est prêt à vous aider.
Contrairement
à votre habitude, votre personnage principal dans « Home » est un
homme. Pourquoi ?
D’abord, je
voulais écrire sur un couple frère et sœur, une situation dont on ne parle
presque jamais, ces couples où il n’y a pas d’arrière-plan sexuel. Ensuite, je
voulais parler de la virilité, de ce que c’est que d’être un homme, ce mélange
de beauté et de brutalité. Au début, pour Franck, mon personnage, être viril
passe d’abord par la brutalité. Puis, petit à petit, il évolue pour découvrir
qu’on peut être un homme digne, respecté dans la violence. A la fin, le frère
et le sœur sont quasiment sur un pied d’égalité, lui moins viril, elle plus
indépendante.
Malgré les
humiliations, Franck est fier d’avoir été soldat.
Franck revient
brisé par ce qu’il a vécu durant la guerre de Corée, mais, malgré tout il pense
que l’armé a été une chance pour lui. Les noirs et les blancs étaient versés
dans les mêmes bataillons, et ça, c’était déjà un succès à l’époque. Alors oui,
ces soldats blacks étaient humiliés, insultés, déconsidérés, mais, malgré tout,
ils étaient américains comme les autres, et ils vivaient cela avec fierté et
honneur.
La musique
est-elle toujours aussi importante dans votre travail ?
La musique,
c’est notre voix. La voix des Noirs puisque les Noirs étaient réduits au
silence. Et les musiciens sont toujours en avance, ils comprennent avant tout
le monde les changements culturels. Les messages échangés furent d’abord
empreints de religion avec le gospel, puis le blues amena une forme de liberté,
avant que le jazz n’amène une couleur quasiment sexuelle. Après guerre, la
musique, avec le scat, le be-bop, devient dissonante… un peu comme le monde,
qui ne peut plus être normal après la bombe d’Hiroshima.
Quels sont
les auteurs qui vous ont influencé ?
J’en citerais
trois. William Faulkner, qui ressentait au plus profond de lui-même qui étaient
les Noirs dans les années 40. James Baldwin, le premier à avoir du style, et
plein de tendresse, dans ses essais politiques. Et Gabriel Garcia Marquez, qui
m’a appris qu’on pouvait utiliser de la magie, des fantômes dans une narration
sans avoir besoin de s’en excuser.
LIRE « Home », Toni Morrison,
Christian Bourgois éd., 154 p., 17 €.
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