C’est l’histoire d’une longue agonie planifiée, d’une vaste
entreprise d’Etat d’élimination : l’éradication par les Bolcheviques des
« traîtres » tsaristes mais aussi de leurs familles. Enfants inclus…
Irina Golovkina (1904-1989) |
On sait que les Rouges, en se libérant du poids du tsarisme
pour instaurer la « dictature du prolétariat », vont produire un
régime funeste au rythme de déferlements de terreur, d’assassinats, de procès
truqués, de déportations, d’exécutions. Qui vont viser au fil des décennies et
des campagnes de purges, des religieux, des scientifiques, des écrivains, des
paysans, des Juifs... Mais d’abord les membres de l’intelligentsia tsariste,
parfois condamnable, déphasée mais brillante.
« Les Vaincus » est un roman-fleuve qui raconte
justement l’itinéraire-témoignage (aucun fait inventé, a assuré l’auteure) d’un
cercle familial de nobles parmi tous les « poux de l’ancien régime »
persécutés qui composaient cette intelligentsia
très patriote qui va être broyée. Des victimes qui vont subir mille
brimades et ségrégations.
Un nom, le passé d’un parent, suffisent à se voir interdit
d’emploi (puis accusé de ne pas travailler), interdit d’études, poursuivi,
éliminé. Partout, des « camarades
conscients » (jolie formule pour désigner les délateurs) épient les
« contre-révolutionnaires », jusqu’au sein des éprouvants
appartements communautaires. Alimentés en informations… et mensonges, les
gestapistes rouges de la Guépéou tissent une menace permanente, un « règne
des ténèbres », « une épouvante froide et sinistre » :
accusations, arrestations, folies staliniennes meurtrières, exils vers la
misère absolue et la mort glacée sibérienne…
Irina Golovkina (1904-1989), excellente narratrice, fait
remarquablement vivre et se débattre une foule de personnages dans ce livre
rédigé dans les années 60. Evitant d’idéaliser les victimes dont elle raconte
le quotidien souvent tragique, elle nous plonge dans leurs drames poignants,
leurs tentatives de résister à la tourmente, de sauver leurs enfants, d’aimer,
au fil d’un roman prenant, plein de souffle et d’émotion, aux accents d’épopée
forte.
LIRE « Les Vaincus »,
Irina Golovkina, éd. des Syrtes, 1094 p., 45 €.
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