Sils et Jenny ont tenu une librairie. « Pendant quinze
ans, le lieu avait répandu de la lumière, du rêve, de la fantaisie. » Ils
auraient pu y passer le reste de leur vie. Hélas, le couple va être expulsé… et
choisit de s’installer à la Survivance, une ferme en ruines qui leur appartient
« parce que impossible à vendre ». C’est en effet « une chose
déglinguée, une ancienne métairie au flanc d’une croupe sauvage, à plus de 900
mètres au-dessus de Kaysersberg ». Ils y avaient vécu en 1973, quelques
mois seulement. Ils avaient vingt ans. Sils cherchait alors « le sens de
sa position dans le monde. De sa putain de vie dans ce putain de monde pas
prévisible, pas contrôlable, pas reconnaissable. » Jenny avait découvert
là-haut « une chose bizarre et merveilleuse : toutes les journées
étaient différentes et toutes les mêmes. »
Mais Sils et Jenny n’ont plus vingt ans. Ils ont traversé
les années avec les livres, leur unique arme. Mais là-haut, comment vont-ils
s’en sortir ? Ils débarquent à la Survivance avec leurs cartons de
bouquins, leur ânesse Avanie et leur chienne Betty. Il faut se débrouiller avec
les moyens du bord : la masure prend l’eau. Il faut apprivoiser la
montagne : on pense y être seuls, mais les poules qu’on vient d’acheter
disparaissent. Il y a beaucoup de monde sur ces terres, et notamment des cerfs,
dont Jenny fait rapidement son miel quotidien (en plus de son potager).
« A la guerre comme à la guerre » devient la
devise de Jenny : « si nous voulions nous en sortir, il fallait
sortir de nous. Plonger direct dans les sensations, dans la peur, dans la joie,
être aux aguets, se transformer en une boule de présence au monde prête à
jaillir. Il y a quelque chose d’excitant, de suffocant dans la lutte pour la
vie : plus d’écran entre elle et nous. On devient la vie. » Chaque
jour est une victoire. On a renoncé à quelque chose de la vie d’avant, on a
triomphé d’éléments défavorables, on s’est pris une nouvelle baffe. Le vent, la
pluie, le vent, le gel, c’est un combat, magnifique.
« La Survivance », le livre, raconte justement, à
sa manière (la fiction), le combat qu’a mené le couple Hunzinger, Claudie et Francis,
pour apprivoiser Bambois, leur ferme au-dessus de Lapoutroie (voir le portrait
de Bambois paru dans notre série « Lieux d’écrivains » le 17 août
dernier). Claudie Hunzinger installe sa propre aventure dans un futur proche,
un futur où, par exemple, le musée Unterlinden vient de brûler, entraînant dans
le désastre le Retable d’Issenheim de Grünewald. Elle en profite pour rendre un
triple hommage : au compagnon de sa vie (« Face à la vie, il était
l’insurgé, moi, l’enchantée.), aux livres, à la vie sous toutes ses formes
(végétale, animale, minérale).
Surtout, Claudie Hunzinger intègre avec ce roman la caste
très fermée des écrivains-voyageurs. Oui, paradoxalement rivée à sa montagne et
convoquant les éléments, l’air, l’eau, la terre, le feu, elle nous invite au
dépaysement le plus fragile, à l’exotisme le plus brinquebalant. Son récit est
flamboyant, poétique, à la fois vacillant et volontaire. Notre gros coup de
cœur de cette rentrée littéraire.
LIRE « La Survivance », Claudie Hunzinger,
éditions Grasset, 280 p., 18 €.
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