On la lirait sur 500, sur 1000 pages, on ne se lasserait pas, mais Marie-Hélène Lafon a un défaut majeur : elle fait court. Heureusement, cet automne nous apporte deux livres de l’auteur, dont chaque page est davantage qu’un bonheur de lecture, plutôt une expérience sensorielle. Pour preuve, cet « Album », un abécédaire à la fois lyrique et délicat sur ce Cantal que la romancière ne cessera jamais de célébrer. Une déclaration d’amour répétée vingt-six fois, de « Arbres » (« Les arbres demeurent, ils ne désertent pas, ils ne peuvent pas le faire. Ils habitent. Ils ont vocation de patience. ») à « Vaches ». Au cœur de l’ouvrage, les deux fragments les plus importants : celui d’où remontent les « Odeurs » de sa région d’origine (voir l’extrait ci-dessous), puis, bien évidemment, à la lettre « P », « Pays », célébration bouleversante du Cantal, « maîtresse tenace, volcanique et très discrète », mais qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle région pour ceux qui se sont exilés, arrachés de leurs racines : « J’en suis, martèle Marie-Hélène Lafon. De là-haut. J’en descends. Comme d’une lignée profonde. Lignée de vie, ligne de sens. Je n’en reviens pas de cette grâce insigne que c’est d’en être. »
Marie-Hélène Lafon vit aujourd’hui à Paris, où elle enseigne
les lettres classiques. Avec « Les Pays », elle a choisi la forme du
roman pour dire ce qu’a justement été cet arrachement à sa terre, aux siens,
quand elle a décidé après le bac de quitter l’Auvergne pour s’inscrire à la
Sorbonne. Un roman, certes, mais qui ne trompera personne : Claire, le
personnage principal, doit être bien proche de l’étudiante timide mais opiniâtre
que fut Marie-Hélène Lafon.
Très tôt, Claire sait que son monde, un monde qui s’est
répété sur tant de générations, vit sa fin : les paysans ne s’en sortent
plus. Cette génération est la dernière. Il faut s’en aller, changer
radicalement de voie, quitte à se retrouver isolée, plongée en milieu au mieux
indifférent, au pire hostile. Mais Claire est une battante : sur les bancs
de l’école, déjà, elle s’acharnait à être la meilleure. Elle va continuer à
l’université. La boursière qu’elle est, et qui travaille l’été dans une agence
bancaire, n’a pas l’insouciance affichée par ses congénères. Elle mettra un an
avant d’oser acheter un nouvel habit, presque une folie : un pantalon
rouge. Elle se fait tout de même l’une ou l’autre amie, elle est invitée chez
des parents dont la vie, la culture, les mœurs sont tellement à l’opposé de ce
qu’elle a connu que ces visites, après la première gêne évacuée, en deviennent
presque une fête.
Elle oublie peu à peu d’où elle vient. La distance
s’installe. Elle rentre rarement au pays, et la famille vient encore plus
rarement la voir. Mais alors que Claire traîne au musée du Jeu de Paume, place
de la Concorde à Paris, elle voit passer par la fenêtre l’étape du jour du Tour
de France. Et soudain tout revient : « L’enfance était là, ses étés
ardents, le foin coupé, la touffeur des granges, et les maillots éblouissants
de coureurs dont elle n’avait pas oublié le nom, Anquetil Merckx Poulidor
Hinault. »
LIRE De Marie-Hélène Lafon aux éditions
Buchet-Chastel, « Album » (110 p., 10 €) et « Les Pays » (208
p., 15 €).
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