Elle s’appelait Charlotte Salomon, gazée en octobre 1943
dès son arrivée à Auschwitz. Elle était enceinte, elle n’avait que vingt-six
ans. Elle ne demandait qu’à peindre,
« devant certains tableaux, son cœur bat comme pour un amour. » Elle
ne demandait qu’à être heureuse, mais ça, ce n’était pas gagné, sa famille
était ravagée par une épidémie de suicides. Autant de morts, dont celui de sa
mère, qu’on cachait à Charlotte. Elle sentait bien que quelque chose n’allait
pas, cette mélancolie qui habitait sa grand-mère, sa difficulté à elle à
s’ouvrir aux autres, elle qui peut « sourire et souffrir en même
temps ».
Adolescente, elle fait deux rencontres
déterminantes : Paula, sa nouvelle belle-mère, une célèbre cantatrice qui
l’aide à oser aller de l’avant. Et, surtout, Alfred Wolfsohn, le professeur de
chant de Paula, un oiseau déglingué mais pétri de talent, qui deviendra son
mentor, son tourment amoureux, son obsession.

Depuis des années, David Foenkinos était attiré par
l’Allemagne, sans vraiment savoir pourquoi. Jusqu’à tomber par hasard sur
l’œuvre de Charlotte Salomon. « Tout était là. Dans un éclat de couleurs
vives. » Il n’a cessé d’essayer d’écrire le livre de cette vie. Mais il
n’y arrivait pas. « Impossible d’avancer. C’était une sensation physique,
une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour
respirer. »
Alors ? « Alors, j’ai compris qu’il fallait
l’écrire ainsi. » Un roman en vers libres. Une forme originale, qui peut
susciter l’embarras (peut-on traiter de la Shoah en usant d’un exercice de
style ?), qui agace à certains moments (quand l’auteur nous raconte son
enquête, et quelques anecdotes superflues). Mais qui, au final, emporte
l’adhésion par le culot de l’entreprise, la pudeur élégante des mots choisis,
par la fascination émue, fiévreuse de l’auteur pour son sujet. Que le lecteur
partage. Chaque roman devrait rendre justice à une voix perdue. C’est ici chose
faite.
LIRE
« Charlotte », David Foenkinos, éd. Gallimard, 224 p., 18,50 €.