Irmgard Keun |
Il était temps qu’on la redécouvre. Irmgard Keun, née à
Berlin en 1905, connut pourtant le succès dès son premier roman, en 1931, avec
« Gilgi, l’une de nous ». Rebelote l’année suivante avec « La
Jeune fille en soie artificielle ». Mais le portrait qu’elle y fait d’une
jeune Allemande moderne déplaît aux autorités nazies, qui mettent ses livres
sur la liste noire. C’est en exil aux Pays-Bas qu’elle écrira « Après
minuit ».
Ce livre est incroyable. Quand on le lit, comme le
souligne Éric-Emmanuel Schmitt dans sa préface, « on a plusieurs fois le
réflexe de vérifier la date, 1937. » Hitler est encore en marche, le
désastre n’a pas encore eu lieu… et pourtant tout est là. Tout est dit. Irmgard
Keun nous raconte une journée et une soirée à Francfort, vue par son héroïne
inoubliable, Suzon. À 18 ans, celle-ci ne se trouve ni assez belle, ni assez
intelligente, elle ne croit qu’à l’amour, se trouve dépassée par la politique,
et accumule cependant les notations prises sur le vif, pour peindre une société
qui, se croyant plus vivante, plus enthousiaste que jamais, est tombée malade.
Elle montre comment le nazisme aura prospéré en flattant « nos instincts
les plus bas, la mesquinerie, l’avarice, la cupidité, l’envie, la haine, l’intérêt,
le goût de la puissance », comme le rappelle Éric-Emmanuel Schmitt. Tel ce
vieux dégoûtant de Schauwecker, l’un des personnages, qui baladait ses mains
sur les enfants : menacé d’être poursuivi, « il est devenu antisémite ».
Il ne risquait plus rien.
En 1940, après avoir voyagé en Europe, Irmgard Keun,
« cette souris qui sifflait pour arrêter une avalanche » comme le dit
l’un des protagonistes de « Après minuit », va accomplir
l’inconcevable : elle fait publier l’annonce de son suicide et rentre
clandestinement en Allemagne ! Oubliée après 1945, entre dépendance à
l’alcool et séjours en hôpital psychiatrique, elle meurt en 1982… juste au
moment où des féministes font à nouveau entendre la voix de cet immense
écrivain.
Timur Vermes |
Si Irmgard Keun aura eu le talent terrible de dévoiler le
Hitler d’avant la guerre, Timur Vermes verse dans la satire (et on rit
beaucoup) en nous menaçant dans son « Il est de retour » d’un
come-back du Führer. Et si ? Et si le cauchemar connaissait un (ultime)
rebondissement ? Soixante-six ans après sa disparition présumée, Hitler se
réveille dans un terrain vague en plein Berlin, sur le lieu même où se trouvait
son bunker. Il ne reconnaît (presque) rien, se fâche que les gens rient de son
aspect, chavire en découvrant qu’une FEMME dirige le pays. Recueilli par un
kiosquier bon prince, il est remarqué par des producteurs télé qui voient dans
ce sidérant sosie une prochaine poule aux œufs d’or. Et Adolf s’adapte au monde
nouveau (pas précisément ce que lui appelait de ses vœux comme monde nouveau…).
La télé sera sa tribune, démultipliant comme jamais son message. Inespéré.
Surtout que le bonhomme, par son franc-parler et ses formules bien senties,
semble avoir réponse à tout. Ses bobards sont du miel pour les gens qui
souffrent en ces temps de crise… Une nouvelle fois, le pays semble prêt…
LIRE
« Après minuit », Irmgard Keun, éd. Belfond, 228 p., 17 €.
« Il est de retour », Timur Vermes, éd.
Belfond, 416 p., 19,33 €.
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