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vendredi 23 mai 2014

Elle aimait la vitesse, la mer, minuit



Dans « Le Dictionnaire des auteurs », publié sous la direction de Jérôme Garin, elle écrivit elle-même sa rubrique nécrologique : « Fit son apparition en 1954 avec un mince roman « Bonjour tristesse », qui fit un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même. »
C’était il y a soixante ans. Une jeune fille de bonne famille, Françoise Sagan, de son vrai nom Françoise Quoirez, publiait son premier roman, « Bonjour tristesse ». Son éditeur, René Julliard, l’un des premiers à avoir compris le lien entre littérature et marketing, avait senti le bon coup dès qu’il avait eu le manuscrit entre les mains. Comme le raconte fiévreusement Anne Berest dans « Sagan 1954 », Julliard, emmitouflé dans un plaid, une nuit dans son salon, avait dévoré ces mots, « réchauffant son corps tout entier, ils finiront par se transformer en ivresse. » Il pense d’abord à une supercherie : à dix-huit ans, l’âge de cette Françoise Quoirez, on ne peut pas écrire avec une telle sensualité, avec une telle justesse, notamment sur des personnages vieillissants. Il s’était dit que c’était le père de la jeune fille qui se cachait derrière ce pseudonyme, qu’elle était envoyée « comme leurre pour le séduire ».
Françoise Sagan et Anne Berest croquées par Stéphane Manel
Mais non, quelques jours plus tard, Françoise Quoirez se tiendra devant lui, ingénue et orgueilleuse, il était estomaqué, elle n’était pas surprise (sauf par l’argent qu’on lui donnait, elle ne savait pas encore qu’un jour elle en gagnera suffisamment pour ne plus jamais avoir à y penser), elle était persuadée depuis toujours qu’elle deviendrait écrivain. Elle avait osé, oser et être libre, elle le sera toute sa vie. Anne Berest, croisant sa propre existence avec celle de son aînée, le dessine joliment : « elle avait simplement fait quelque chose, tout commence par là, on ne perd jamais rien à faire, on risque même de gagner ; car gagner est un risque à prendre dont les jeunes gens ne connaissent pas les conséquences. »
Le livre paraît le 15 mars 1954. Chez Julliard, on espère en écouler quinze, vingt mille. Ce serait déjà un beau succès. Les libraires adorent, sans le dire trop fort, cette histoire sent le soufre (une jeune fille qui supporte mal la maîtresse de son veuf de père déploie un complot qui aboutira à la mort de la dite-maîtresse). Le 24 mai, huit mille exemplaires sont vendus. Puis le roman décroche le Prix des Critiques, alors très puissant. Le lendemain, « François Mauriac le chrétien, fraîchement promu prix Nobel de littérature », parle, à la une du Figaro, de ce « charmant petit monstre ». Et tout s’emballe : le dossier de presse du livre atteindra les douze kilos sur une balance ! Un destin est en marche, une vie exceptionnelle, unique, qu’on (re)découvrira avec bonheur dans les entretiens donnés par Sagan entre 1954 et 1992, et réunis en un volume. Elle disait : « J’ai porté ma légende comme une voilette… Ce masque délicieux, un peu primaire, correspondait chez moi à des goûts évidents : la vitesse, la mer, minuit, tout ce qui est éclatant, tout ce qui est noir, tout ce qui perd, et donc permet de se trouver. »
LIRE « Sagan 1954 », Anne Berest, éd. Stock, 198 p., 18 €.
« Je ne renie rien, Entretiens 1954-1992 », Françoise Sagan, éd. Stock, 256 p., 19 €.

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